Soutenir la prochaine génération de leaders du patrimoine : quelques leçons tirées de la Conférence 2025 de la Fiducie nationale (avec l’ACECP et le CPA)

En observant les files d’attente à l’heure du dîner et les gens rassemblés dans les salles de réunion, il était manifeste que la communauté du patrimoine change de visage. La prochaine génération de professionnels, de travailleurs et de défenseurs était bien présente lors de la Conférence 2025 de la Fiducie nationale (avec l’ACECP et le CPA) à Halifax, du 23 au 25 octobre.

Les représentants de la relève ont apporté une nouvelle énergie et des idées rafraîchissantes à partager avec les 500 personnes et plus qui ont pris part à l’événement annuel de réseautage et d’apprentissage. Au moins 45 des 150 conférenciers (30 %) étaient soit des « jeunes », soit des « professionnels émergents ». Parmi eux, six rapporteurs de la Willowbank School for Restoration Arts étaient sur scène lors de la dernière plénière. Ces nombres, impressionnants en soi, excluent les jeunes qui ont assisté à la Conférence et qui entrent dans la catégorie — vaste et difficile à définir — « émergents ».

De nouveaux regards au kiosque de la Fiducie nationale de Nouvelle-Écosse | @StooMetzPhotos

Plus de 20 étudiants étaient présents, en plus de 18 étudiants et jeunes bénévoles (plusieurs des universités Dalhousie et St. Mary’s) qui ont prêté main-forte tout au long de l’événement, s’occupant tantôt du bureau d’inscription, tantôt de veiller au respect de la durée des présentations. Ils offraient même un soutien logistique lors des visites guidées. Un jeune membre du personnel de la Fiducie nationale (Angleterre, pays de Galles et Irlande du Nord) a même fait le voyage outre-mer pour entrer en contact avec la communauté du patrimoine au Canada et favoriser l’établissement de liens internationaux plus solides au sein de la prochaine génération.

La Vitrine culturelle, le jeudi soir, a mis en vedette plusieurs jeunes artistes des communautés autochtones, noires et écossaises de Nouvelle-Écosse. L’événement a fait honneur au riche paysage culturel de la province grâce au talent remarquable de ces jeunes.

Alexandra Pennell, gestionnaire des opérations pour le Cercle du patrimoine autochtone, a présenté la Vitrine culturelle | @StooMetzPhotos

 

Damini Awoyiga, lauréate en 2023-2024 du concours Halifax Youth Poet, a présenté une  création orale lors de la Vitrine culturelle | @StooMetzPhotos

La forte présence d’étudiants et de jeunes professionnels représente un gage encourageant de la vitalité du domaine patrimonial au Canada. Cependant, des préoccupations ont aussi été exprimées lors de la Conférence quant aux moyens de maintenir cet élan et le démultiplier. Plusieurs rencontres, séances et présentations se sont penchées sur les façons d’attirer, de soutenir et de propulser les étudiants et les jeunes professionnels dans le secteur. Des thèmes forts sont ressortis.

 

L’éducation sur le patrimoine et les capacités de la main-d’œuvre menacées

L’intérêt pour le patrimoine au Canada va croissant, qu’il s’agisse de protéger des communautés ou des paysages historiques, d’entretenir des collections ou d’intégrer des  pratiques exemplaires. Par ailleurs, le lien entre une bonne gestion des bâtiments existants et l’atténuation des changements climatiques est de plus en plus reconnu. Néanmoins, dans bon nombre de régions du pays et dans les différents programmes, l’éducation sur le patrimoine est en période de crise.

Dans plusieurs établissements d’enseignement postsecondaire, les inscriptions sont faibles et les budgets, coupés. De nombreux programmes du domaine sont ou bien interrompus, ou bien réduits. L’érosion rapide de ces incubateurs clés menace la main-d’œuvre et les capacités du secteur en général.

Devant cette crise qui prend de l’ampleur, la table ronde nationale de l’éducation sur le patrimoine a rassemblé des professeurs, des étudiants et des membres de l’industrie pour réfléchir à des questions importantes : peut-on repenser la manière et l’endroit où l’on forme les professionnels, ou encore, redéfinir ce que le patrimoine peut offrir comme part essentielle de l’enseignement de façon générale?

Des participants à la table ronde nationale de l’éducation sur le patrimoine lors de la Conférence annuelle 2025 | Fiducie nationale du Canada

Cet événement a donné lieu à une discussion fertile, dont un débat sur la Déclaration sur l’éducation et la formation en conservation du patrimoine au Canada. Ce document expose les étapes clés que le gouvernement et les organisations professionnelles devraient suivre. Par exemple, l’Institut royal d’architecture du Canada (IRAC) et l’Institut canadien des ingénieurs (ICI) devraient établir des exigences minimales en matière de connaissance de la conservation et de la réutilisation adaptative chez les nouveaux ingénieurs et dans les programmes de formation continue. La publication de cette déclaration devrait avoir lieu prochainement.

Vu la fermeture d’un certain nombre de programmes liés aux métiers du patrimoine au cours des dernières années, l’Association canadienne d’experts-conseils en patrimoine (ACECP) a organisé un atelier de discussion intitulé « Accès à de la formation et à des programmes d’apprentissage en métiers patrimoniaux et en connaissances traditionnelles ». Cette séance a permis d’explorer divers sujets : des stratégies pour valoriser ces métiers sur le marché du travail et dans le secteur patrimonial; le biais en faveur des diplômes universitaires au détriment des compétences pratiques; le manque de main-d’œuvre, qui menace l’industrie de la réutilisation/réadaptation des bâtiments; ainsi que la mobilisation des décideurs politiques et l’identification des chefs de file dans les métiers du patrimoine.

L’atelier de l’ACECP | Fiducie nationale du Canada

 

Des programmes inspirants pour soutenir la nouvelle génération

En 2018, Connexion patrimoine capitale (un organisme-cadre au service de la communauté du patrimoine d’Ottawa) a lancé son Programme de mentorat du patrimoine de la capitale. L’objectif est d’assurer un avenir plus fort au secteur en comblant des lacunes dans les domaines de l’apprentissage pratique, de l’accompagnement professionnel et de la représentation. Le programme met de jeunes professionnels en lien avec des gestionnaires expérimentés dans le secteur de la culture et du patrimoine d’Ottawa. Ce mentorat favorise le partage de connaissances, le perfectionnement professionnel et la résilience du domaine patrimonial.

Avec le soutien de la Fiducie nationale du Canada, un groupe de mentorés du programme de Connexion patrimoine capitale a participé à la conférence à Halifax. Ces jeunes ont eu l’occasion d’y rencontrer des leaders de partout au Canada, d’élargir leur savoir et de commencer à prendre leur place dans la réflexion commune sur le patrimoine national. Connexion patrimoine capitale a présenté le succès de son programme et a suscité une discussion enthousiaste à propos de la possibilité de créer des programmes similaires ailleurs au pays.

De gauche à droite : Chris Wiebe (Fiducie nationale), Kate Gonsalves, Shana Quesnel et Fatemeh Makvandi (des mentorées de Connexion patrimoine capitale) et Christopher Chase Onions (Connexion patrimoine capitale) à Halifax en 2025 | Fiducie nationale du Canada

La remise des Prix des gouverneurs de la Fiducie nationale a été l’occasion de saluer entre autres une initiative récente de Parcs Canada, du Holland College (Île-du-Prince-Édouard), du Collège Algonquin (Ontario) et de la Willowbank School of Restoration Arts (Ontario). Ce projet a permis à des étudiants en menuiserie patrimoniale de vivre une expérience pratique au lieu historique national de la Forteresse-de-Louisbourg au Cap-Breton en Nouvelle-Écosse.

Depuis 2019, Parcs Canada collabore avec des établissements d’enseignement canadiens pour offrir l’occasion à des jeunes qui apprennent des métiers du patrimoine d’acquérir de l’expérience sur le terrain en participant à des projets de restauration dans des lieux historiques nationaux. De 2019 à 2022, des étudiants du programme Heritage Retrofit Carpentry au Holland College ont remis en état des fenêtres d’origine de la Province House à l’Île-du-Prince-Édouard. L’année dernière, le projet s’est élargi pour inclure la forteresse de Louisbourg, Parcs Canada ayant signé une entente pluriannuelle avec ces collèges. Cette entente permet aux étudiants de ces trois établissements d’enseignement de participer à la restauration de volets du XVIIIe siècle. Des dirigeants des trois collèges, ainsi que six étudiants de la Willowbank School, étaient présents lors de la remise des Prix des gouverneurs de la Fiducie nationale. Ils y ont été honorés pour leur participation au projet et pour leurs efforts visant à soutenir la formation en métiers du patrimoine.

 

Bâtir un réseau pour la prochaine génération de leaders du patrimoine

Pour investir dans l’avenir du domaine patrimonial canadien, il faut d’abord comprendre les besoins des personnes qui façonneront bientôt ce secteur. Pendant la Conférence, les professionnels de la relève, les étudiants et les bénévoles ont fait part de leur expérience. Un besoin important est clairement ressorti de ces échanges : celui de demeurer connecté. Les jeunes veulent une communauté de pairs et un réseau qui permettent le soutien mutuel, le partage de ressources et l’accès à des conseils pour entrer sur le marché du travail.

La Rencontre pour les débutants et les professionnels émergents, qui a eu lieu le premier soir de la Conférence, a donné l’occasion aux jeunes et aux personnes qui participaient pour la première fois à l’événement de faire connaissance | Katie Miller

Plusieurs organisations ont déjà commencé à former ce type de réseaux au Canada. La Architectural Conservancy of Ontario, par exemple, a mis sur pied le réseau ACO NextGen, qui rassemble les personnes intéressées à préserver l’architecture historique. L’Association canadienne d’experts-conseils en patrimoine (ACECP) propose aussi aux professionnels de la relève des occasions de connexions par le biais de son membrariat pour les étudiants et les stagiaires. ICOMOS Canada a aussi cherché à faire participer la relève à ses programmes au fil du temps. Ces initiatives constituent des fondements solides. Cependant, plusieurs ont exprimé, lors de la Conférence, qu’il serait profitable d’avoir davantage d’occasions de tisser des liens avec des pairs (qu’il s’agisse d’étudiants, de jeunes professionnels ou de bénévoles).

Pour en savoir plus, la Fiducie nationale a réuni de jeunes acteurs du milieu pour échanger et imaginer ce réseau. La séance du dîner a donné lieu à une conversation animée à propos des défis auxquels sont confrontés les jeunes dans le domaine du patrimoine, notamment les obstacles qui nuisent à leur entrée dans le secteur, ainsi que le besoin urgent de mentorat chez les professionnels de la relève et les travailleurs spécialisés. Plusieurs désirent des connexions intersectorielles et entre pairs plus fortes.

Les leaders du patrimoine de demain se sont réunis pour discuter du potentiel d’un nouveau réseau | Katie Miller

Les participants se sont exprimés avec franchise et optimisme sur les avantages possibles d’un tel réseau. Plusieurs ont jugé intéressante la possibilité de créer une plateforme centralisée qui présenterait non seulement des occasions à saisir, mais aussi les diverses avenues professionnelles qui existent : métiers en conservation, interprétation numérique, approche communautaire, etc. Par-dessus tout, ces jeunes acteurs ont manifesté l’envie d’avoir plus d’occasions de tisser des liens en personne. Des rencontres régionales réunissant des pairs, des mentors et des organisations permettraient d’ouvrir des portes vers l’apprentissage, le bénévolat et l’emploi.

« Nous explorerions peut-être encore à tâtons », comme l’a dit une personne présente, « mais, au moins, nous le ferions en nous sentant moins seuls. » Aller au-delà des sentiments d’intimidation et du « syndrome de l’imposteur » dans un milieu rempli de professionnels expérimentés constitue un autre obstacle pour la relève alors qu’elle tente de se tailler une place. Un réseau de jeunes leaders donnerait de la confiance et du courage, ainsi qu’un sentiment d’appartenance — des éléments sur lesquels prendre appui.

Cette discussion n’est que le point de départ pour la Fiducie nationale qui souhaite rester à l’écoute, rassembler des informations et explorer de nouvelles façons de connecter et de soutenir les prochains leaders du patrimoine. Le réseau à venir devra offrir aux jeunes le pouvoir d’action nécessaire pour prendre leur place dans la démarche de préservation — et de réinvention — du paysage patrimonial canadien.

Si vous êtes intéressé à prendre part à la réflexion devant mener à la création d’un réseau pour la relève, ou si vous connaissez des personnes qui souhaiteraient le faire, veuillez communiquer avec nous à l’adresse suivante : nationaltrust@nationaltrustcanada.ca