Commémoration des sites des pensionnats, de leur histoire et de leur héritage
*Avertissement sur le contenu : Ce texte concerne les pensionnats autochtones. Le système des pensionnats est un sujet qui peut provoquer des traumatismes évoqués par les souvenirs d’abus passés. Une ligne de crise nationale relative aux pensionnats a été mise en place pour fournir un soutien aux anciens élèves des pensionnats et à leurs familles. Vous pouvez accéder aux informations sur le site Web ou accéder à des services d’orientation émotionnelle et en cas de crise en appelant la ligne de crise nationale 24 heures sur 24 : 1-866-925-4419.
En 2020, le gouvernement du Canada a désigné le système des pensionnats autochtones comme un événement historique national dans le cadre du Programme national de commémoration historique, administré par Parcs Canada. Le gouvernement fédéral a également désigné l’ancien pensionnat autochtone de Portage La Prairie (Manitoba) et l’ancien pensionnat autochtone de Shubenacadie (Nouvelle-Écosse) en tant que lieux historiques nationaux. Un an plus tard, l’ancien pensionnat autochtone de Shingwauk (Ontario) et l’ancien pensionnat autochtone de Muscowequan (Saskatchewan) ont également été désignés lieux historiques nationaux.
La reconnaissance de l’importance historique nationale du système des pensionnats de ces sites était l’un des objectifs fixés par les survivants, les organisations autochtones et les communautés qui ont joué un rôle clé dans le lancement du processus de désignation patrimoniale. Ces groupes ont proposé la candidature du réseau des pensionnats et des anciens sites des pensionnats à la Commission des lieux et monuments historiques du Canada (la Commission), laquelle formule des recommandations de désignations à l’honorable Steven Guilbeault, ministre de l’Environnement et du Changement climatique et ministre responsable de Parcs Canada. Pour chacun de ces sujets, les historiens de Parcs Canada ont travaillé en collaboration avec les survivants afin de raconter leur histoire et de déterminer l’importance de l’événement et des anciens sites de pensionnat. Comme l’a expliqué le chef Reginald Bellerose de la Première Nation de Muskowekwan, les survivants et les membres de la communauté « ont travaillé avec diligence avec Parcs Canada pour que le pensionnat autochtone de Muscowequan soit désigné en tant que lieu historique national, car l’histoire que nous avons vécue dans ces écoles doit être reconnue et exposée pour que tous les Canadiens puissent en tirer des leçons ». [1] Pour Dennis Meeches, chef de la Première nation de Long Plain, la reconnaissance historique nationale des pensionnats est le résultat de « nombreuses années de travail acharné » au cours desquelles « les survivants et les membres de la communauté [ont uni] leurs efforts pour préserver le bâtiment et leurs histoires, car il s’agit aussi d’une histoire de résilience et d’un long cheminement vers la guérison ». [2]
Bien que l’histoire des pensionnats remonte à la Nouvelle-France et à la période coloniale britannique de l’histoire du Canada, après la Confédération de 1867, ces écoles ont été largement gérées par des églises chrétiennes ainsi que des organisations religieuses, et ont été administrées et financées par le gouvernement fédéral. À la fin du 19e siècle, le système des pensionnats a progressivement pris de l’ampleur et a commencé à être imposé aux peuples autochtones dans le cadre d’un vaste ensemble d’efforts d’assimilation visant à détruire la richesse de leurs cultures et de leurs identités, et à éradiquer leur histoire. Suivant la fermeture de la dernière école en 1997, le système des pensionnats a touché plusieurs générations de peuples autochtones. Des effets néfastes à long terme se sont fait ressentir sur les communautés, les cultures, les économies, les connaissances et les modes de vie traditionnels, les langues, les structures familiales et les liens avec la terre des Premières Nations, des Inuits et des Métis.
Trois des quatre anciens pensionnats qui ont été désignés comme sites historiques nationaux font partie des quelques sites de pensionnats qui ont survécu et dont les éléments bâtis ont été préservés. L’ancien pensionnat de Shubenacadie n’existe plus et pourtant, en tant que seule école construite dans les Maritimes, elle « témoigne de l’effet des expériences vécues par […] les survivants, leurs familles et leurs communautés, et elle préservera une partie de l’histoire canadienne qui ne devrait jamais être oubliée ». [3] Tim Bernard, directeur exécutif du centre culturel Mi’kmawey Debert et coprésident du comité tripartite de travail sur la culture et le patrimoine, qui a proposé la candidature du site des pensionnats au nom des survivants, explique que « même si le bâtiment n’existe plus, nos survivants ont donné la priorité à la désignation d’un lieu historique national, et nous, en tant que communauté, aurons la possibilité de poursuivre notre chemin vers la guérison ». [4]
Les enfants envoyés au pensionnat de Portage La Prairie étaient issus de nombreuses Premières Nations et autres communautés autochtones du Manitoba et d’ailleurs. Construit en 1914-1915, l’ancien pensionnat est un grand bâtiment en briques de trois étages situé sur les terres de la réserve de la Première Nation de Long Plain, au Manitoba. L’imposant bâtiment est situé en retrait d’une route relativement calme et est entouré d’arbres matures et d’une vaste pelouse. Une sculpture spectaculaire d’aigle se dresse à côté du site. Six ans après la fermeture de l’école en 1975, le bâtiment et les terres environnantes ont été remis à la Première nation de Long Plain pour satisfaire à une partie de ses droits fonciers prévus par le traité. La Première nation a reconverti l’école pour répondre à un certain nombre d’objectifs communautaires, et la communauté lui a donné une nouvelle signification en tant que site de commémoration et musée consacré à l’histoire des pensionnats. Il permet de maintenir vivant l’héritage de l’époque des pensionnats et de sensibiliser le plus grand nombre. Cet ancien pensionnat est situé sur la réserve de la Première nation de Long Plain, la terre traditionnelle des Anishinaabe et des Métis.
Lieu historique national de l’ancien pensionnat autochtone de Muscowequan
Les enfants de nombreuses Premières Nations et autres communautés autochtones du territoire du traité n° 4, de toute la Saskatchewan et d’ailleurs au Canada ont fréquenté le pensionnat de Muscowequan. Cet imposant bâtiment scolaire de trois étages a été construit en 1930-1931 pour remplacer des bâtiments de pensionnat datant de la fin du 19e siècle. Il faisait autrefois partie d’une grande propriété scolaire qui comprenait une ferme en activité, des dépendances, des terrains de jeux et des patinoires. Le pensionnat a été en activité jusqu’en 1997. Le bâtiment scolaire a été sauvé de la démolition par les survivants et les membres de la communauté de Muscowequan qui le considèrent comme un témoin important de l’histoire des pensionnats et qui souhaitent réaffecter le site en un lieu de commémoration, de guérison, d’apprentissage culturel et de souvenir pour toute la population canadienne. L’ancien pensionnat se trouve sur le territoire du traité n° 4, les terres d’origine des nations nêhiyaw/Cree, Nahkawe/Saulteaux, Dakota, Lakota, Nakota et Michif/Métis.
Lieu historique national de l’ancien pensionnat autochtone de Shingwauk
Des enfants autochtones de l’Ontario, du Québec, des Prairies et des Territoires du Nord-Ouest ont fréquenté le pensionnat de Shingwauk. La structure principale de l’école, Shingwauk Hall, a été construite en 1934-1935 pour remplacer le bâtiment d’origine qui datait de la fin du 19e siècle. Parmi les autres bâtiments et éléments paysagers liés à l’ancienne école qui subsistent sur le site, le cimetière commémoratif Shingwauk (1876), la chapelle commémorative Bishop Fauquier (1883), l’ancienne résidence du directeur (1935), l’ancien atelier de menuiserie (1951) et l’école publique Anna McCrea (1956). Depuis la fermeture de l’école en 1970, le site est devenu un lieu de réappropriation culturelle et d’éducation. L’association des anciens élèves de Shingwauk et ses partenaires se sont engagés à rétablir l’intention et l’esprit véritables de la vision du chef Shingwaukonse, c’est-à-dire l’éducation et l’apprentissage interculturels, et à faire du site un lieu de guérison et de réconciliation. La propriété de l’ancien pensionnat abrite le campus actuel de l’Université Algoma et de Shingwauk Kinoomaage Gamig (Université de Shingwauk). Une exposition permanente sur l’histoire des pensionnats a été installée dans le Shingwauk Hall. L’ancien pensionnat se trouve sur le territoire du traité Robinson-Huron, la patrie traditionnelle des Anishinaabe et des Métis.
Lieu historique national de l’ancien pensionnat de Shubenacadie
Les enfants mi’kmaq et wolastoqiyik de Nouvelle-Écosse, de l’Île-du-Prince-Édouard, du Nouveau-Brunswick et du Québec ont fréquenté le pensionnat de Shubenacadie. Seul pensionnat autochtone des provinces maritimes, cette école a été créée en 1929 et a accueilli des élèves de 1930 à 1967. Le bâtiment de l’école se trouvait autrefois sur une vaste propriété comprenant des granges et d’autres bâtiments agricoles, des résidences pour le personnel, des champs cultivés et des pâturages. Abandonné, celui-ci a été démoli en 1986 et une usine s’est installée à sa place. Bien que le bâtiment de l’école ne soit plus là, son emplacement est un lieu de souvenir et de guérison pour certains survivants et leurs descendants, qui souhaitent préserver l’histoire des pensionnats autochtones dans les Maritimes. Le pensionnat était situé dans le district Sipekne’katik de Mi’kma’ki, le territoire ancestral et non cédé des Mi’kmaq.
Ces désignations permettent de faire connaître au Canada et au monde entier l’effet durable des pensionnats sur les communautés autochtones. Trois des quatre désignations de pensionnats seront commémorées par l’installation de plaques de bronze de la CLMHC, tandis que la quatrième sera commémorée sous une autre forme, à déterminer par les survivants. Les plaques de la CLMHC ont été installées au lieu historique national de l’ancien pensionnat autochtone de Shubenacadie et des plans sont en cours pour préparer les plaques du lieu historique national du pensionnat autochtone de Portage la Prairie et du lieu historique national du pensionnat autochtone de Muscowequan.
Le 30 septembre 2021, première Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, les survivants et leurs familles se sont réunis sur le site de l’ancien lieu historique national du pensionnat autochtone de Shubenacadie pour la cérémonie de commémoration. Les survivants ont participé à la rédaction du texte de la plaque commémorative. Trois plaques avec des textes en micmac, en wolastoqey, en anglais et en français, ont été érigées sur le site de l’ancien pensionnat. Pour Dorene Bernard, survivante et aînée du pensionnat de Shubenacadie, ces plaques commémoratives racontent « l’histoire entourant la construction des pensionnats, ainsi que leurs effets sur notre peuple et sur qui nous sommes. Ce lieu honore cette mémoire. Il affirme que nous sommes toujours là. » [5] Les « Mikwite’tmek, We Remember: Shubenacadie Indian Residential School » est une vidéo produite grâce à une collaboration entre le centre culturel Mi’kmawey Debert et Parcs Canada, des survivants et des descendants, qui partagent des expériences personnelles sur les nombreuses façons dont le pensionnat de Shubenacadie a cherché à faire disparaître la langue, la culture et les modes de vie. (Lien vers la vidéo disponible en anglais seulement: https://youtu.be/T5176YRvcVA?feature=shared). Des travaux sont en cours afin de produire des vidéos commémoratives pour chacun des quatre sites de pensionnats désignés, en collaboration avec les survivants des différents établissements.
Ces désignations constituent un élément important de la réponse du gouvernement du Canada à l’appel à l’action 79 du rapport final de la Commission de vérité et de réconciliation, qui demandait une commémoration nationale des sites des pensionnats et de l’histoire et de l’héritage des pensionnats. Parcs Canada, en collaboration avec les survivants et les communautés qui sont prêtes à le faire, s’est engagé à faire connaître les expériences des enfants qui ont fréquenté ces écoles afin que cette histoire soit reconnue et mieux comprise par toute la population canadienne. Il ne s’agit là que d’une infime partie du travail que les survivants et les communautés accomplissent pour préserver l’héritage de ce que signifient le système et les sites des pensionnats.
[1] Chef Reginald Bellerose, Première Nation de Muskowekwan, https://www.canada.ca/fr/parcs-canada/nouvelles/2021/07/le-gouvernement-du-canada-reconnait-limportance-historique-nationale-de-lancien-pensionnat-indien-de-muscowequan.html
[2] Chef Dennis Meeches, Première Nation de Long Plain, https://www.canada.ca/fr/parcs-canada/nouvelles/2020/09/le-gouvernement-du-canada-reconnait-limportance-historique-nationale-du-systeme-des-pensionnats-autochtones-et-de-sites-danciens-pensionnats-autoch.html
[3] Tim Bernard, directeur exécutif, Mi’kmawey Debert, Confederacy of Mainland Mi’kmaq, https://www.canada.ca/fr/parcs-canada/nouvelles/2020/09/le-gouvernement-du-canada-reconnait-limportance-historique-nationale-du-systeme-des-pensionnats-autochtones-et-de-sites-danciens-pensionnats-autoch.html
[4] Tim Bernard, directeur exécutif, Mi’kmawey Debert, Confédération de Mi’kmaq du continent, https://www.canada.ca/fr/parcs-canada/nouvelles/2020/09/le-gouvernement-du-canada-reconnait-limportance-historique-nationale-du-systeme-des-pensionnats-autochtones-et-de-sites-danciens-pensionnats-autoch.html
[5] « Mikwite’tmek, Nous nous souvenons : pensionnat indien de Shubenacadie », Centre culturel Mi’kmawey Debert et Parcs Canada, 2024, https://www.youtube.com/watch?v=T5176YRvcVA. (Disponible en anglais seulement)