Un patrimoine grandiose : le charme inébranlable et l’avenir incertain des grands objets routiers du Canada

En sortant d’Edmonton par les quatre voies de la route Yellowhead, en Alberta, les voyageurs doivent prendre une décision difficile : continuer à rouler ou tourner pour admirer la gigantesque attraction de Mundare.

La petite ville agricole albertaine de Mundare (qui compte 852 habitants) est un endroit fascinant. Son histoire centenaire de colonisation ukrainienne, son grand musée des Pères Basiliens, sa magnifique et sophistiquée grotte catholique ukrainienne construite par des bénévoles dans les années 1930 et sa charmante rue principale constituée de bâtiments vernaculaires Art déco ne manquent pas de susciter l’intérêt. Pourtant, la majorité des visiteurs passent à côté de tout cela et se rendent directement à l’extrémité nord du centre-ville pour s’émerveiller devant la plus grande saucisse du Canada : une kielbasa ukrainienne en forme de U, rouge, improbable et appétissante sur un ciel bleu typique des Prairies. Du haut de ses 12 000 livres, cette solide statue en fibre de verre érigée en 2001 a coûté quelque 120 000 dollars, peut résister à des vents de 160 km et est administrée par sa propre fondation à but non lucratif.

La géante Kielbasa ukrainienne à Mundare, en Alberta, allume les papilles des visiteurs.

En visitant Mundare il y a plusieurs années, je suis resté bouche bée sur la plate-forme d’observation en métal, dans le creux de la saucisse, émerveillé par ce mastodonte de 42 pieds en fibre de verre et dérouté par l’odeur d’ail dans l’air. Je me suis vite aperçu que l’arôme provenait de Stawnichy’s Meat Processing, l’usine sexagénaire de charcuterie et de saucisses située de l’autre côté de la rue. Il s’agit du commerce le plus célèbre de la ville. En prenant du recul, je me suis demandé ce qui avait motivé cette expression gargantuesque de la fierté locale et ce qu’il adviendrait de cette structure tant appréciée dans les années à venir.

Aussi excentriques et insolites soient-ils, les « grands objets » qui parsèment les villes du Canada ont peu à peu imprégné l’identité locale. Il est sans doute sans importance de savoir s’ils feront un jour officiellement partie du « patrimoine » ou s’ils obtiendront une désignation patrimoniale, mais pourquoi ne bénéficieraient-ils pas d’une reconnaissance patrimoniale? À l’heure actuelle, même les grands objets routiers les plus célèbres du Canada, comme le Gros cinq sous (Big Nickel) de Sudbury, en Ontario (1964), ou le Pysanka de Vegreville, en Alberta (1975), ne jouissent d’aucun statut patrimonial ni d’aucune protection. Si bon nombre de ces monuments ont commencé par une astuce publicitaire de la Chambre de commerce, la plupart ont séduit les habitants et les voyageurs. La communauté de la préservation du patrimoine devrait peut-être envisager de ratisser plus large et d’accueillir ces icônes plus grandes que nature de la culture et de l’art populaires.

En tant que site patrimonial, le sort de l’oie de Wawa, en Ontario, soulève des questions délicates sur la façon de préserver les grands objets et sur le concept d’« authenticité ». Par exemple, la première oie de Wawa a été construite en 1960 avec du plâtre fragile, puis remplacée en 1963 par une version en acier qui a rapidement commencé à se corroder, avant d’être ensuite remplacée en 2017 par une version en bronze, prétendument indestructible. La tête en acier de l’oie de 1963 aura été sauvée, mais le reste de la structure a apparemment été réduit à l’état de souvenirs. La valeur patrimoniale de l’oie de Wawa réside-t-elle dans sa forme et son contexte plutôt que dans le matériau en tant que tel? Cette conversation devrait peut-être être confiée à une salle de conférence de la Fiducie nationale…

Les grands objets ont réellement vu le jour en Californie dans les années 1920, lorsque des bâtiments commerciaux accrocheurs et souvent loufoques ont vu le jour. Face à la culture de l’automobile et au besoin d’attirer les foules, la Route 66 des États-Unis, mise en service en 1926, voit ces objets géants se multiplier pour devenir des attractions touristiques. Le National Trust for Historic Preservation s’efforce désormais de sauver les icônes de la Route 66 sur le sol américain, et l’État de Californie a entrepris de recenser et de sauver ces sites qui tendent à disparaître rapidement.

Le tipi Saamis de 20 étages domine la route transcanadienne à Medicine Hat, en Alberta.

Avec un peu de chance, lorsque les Canadiens se libéreront des contraintes liées à la COVID-19 et prendront la route cet été, ils ressentiront sans doute le magnétisme irrésistible des grands objets qui font la richesse du Canada. Voici quelques exemples qui méritent qu’on se stationne pour les observer :

  • Le tipi Saamiss (Medicine Hat, Alb.) : Initialement prévu pour les Jeux olympiques de 1988 à Calgary, ce tipi de 20 étages surplombe maintenant l’autoroute transcanadienne et constitue un hommage de la ville aux peuples autochtones du Canada. Le tipi est orné de 10 grands panneaux d’interprétation circulaires peints par des artistes des Premières Nations et des Métis sur des sujets tels que le Traité n° 7 et la Confédération des Pieds-Noirs.
  • Le pérogie sur sa fourchette (Glendon, Alb.) : Le pérogie sur sa fourchette du village de Glendon mesure 27 pieds et rend hommage à la communauté ukrainienne. Il attire des visiteurs depuis 1991. Par bonheur, un café du coin sert une version comestible accompagnée d’oignons frits et de crème sure!
  • Mac l’orignal (Moose Jaw, Sask.) : Après avoir reçu de nouveaux bois, ce colosse est à nouveau le plus grand du monde (10,36 mètres), devançant de peu l’orignal chromé de la ville de Stor-Elvdal, en Norvège (10,1 mètres).
  • Le moustique géant (Kormano, Man.) : Édifié dans le petit village de Kormano dans la région d’Entre-les-Lacs, cet énorme et redoutable moustique tout en acier, conçu par la sculptrice Marlene Hourd, atteint 4,6 mètres de large et tourne lentement sur lui-même.
  • Le chevalet des tournesols (Altona, Man.) : Cette communauté mennonite du sud du Manitoba est à la fois la capitale canadienne des tournesols et une mecque culturelle. En 1998, l’artiste Cameron Cross a créé un extraordinaire hommage en réalisant un chevalet de 76 pieds sur lequel était juché un tableau représentant les tournesols de Van Gogh.
  • Jumbo l’éléphant (St. Thomas, Ont.) : Cette représentation grandeur nature de Jumbo, l’éléphant de cirque mondialement connu, a été érigée en 1985 pour commémorer sa mort, survenue cent ans plus tôt à St. Thomas, après avoir été percuté par un train.
  • La plus grande hache du monde (Nackawic, N.-B.) : Avec sa tête de 7 mètres de large, cette stupéfiante statue mesure 15 mètres de haut et pèse plus de 55 tonnes. Clin d’œil à l’histoire de l’exploitation forestière de la région, elle fut imaginée et construite en 1991 près de Woodstock.
  • Le plus grand violon du monde (Sydney, N.-É.) : Situés au bord de la mer à Sydney, ce violon et son archet atteignent 60 pieds! Construit en 2005, le violon évoque la musique folklorique et les traditions de la communauté celtique de la province.
  • Le calmar géant (Glovers Harbour, T.-N.-L.) : Édifié en 2001, ce calmar en béton et en acier grandeur nature est dédié à un calmar géant qui s’est échoué sur le rivage en 1878.

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