Un lieu qui m’importe : Dawson

La ville de Dawson n’est jamais moins jolie qu’au début d’avril. La route venant de l’aéroport est percée de nids de poule. Des corbeaux tournent autour du dépotoir municipal. De la glace souillée s’étend dans toutes les directions. La végétation éparse est minable et sombre.

En 2008, en arrivant sur place, mon regard a fait le tour de ce paysage nordique et j’ai eu le cœur gros. Le vacarme s’échappant du tuyau d’échappement cassé du camion déchirait le lugubre silence – ni ruissellement d’eau, ni chants d’oiseau, ni autre trafic. Un paysage glacé. J’allais passer trois mois ici, dans la maison Berton, en retraite littéraire, sous l’égide de la Société d’encouragement aux écrivains du Canada. Est-ce que je tiendrais le coup?

En arrivant dans la ville, j’ai eu le sentiment de me trouver dans un décor de cinéma abandonné. Des magasins et des bars aux fausses façades et aux portes cadenassées s’alignaient sur la rue principale surplombant le fleuve Yukon gelé. Il manquait des planches dans les trottoirs en bois inégaux, les trous menaçant de faire trébucher les nouveau-venus non avertis, comme moi. Des maisons de bois fatiguées s’appuyaient l’une sur l’autre à des angles invraisemblables, leurs fondations ayant eu un siècle pour s’enfoncer dans le pergélisol. La maison Berton, le bungalow où Pierre Berton a passé son enfance, était une maison compacte mais confortable, tapie contre l’emprise de l’hiver. Le ciel était gris.

Des immeubles du patrimoine, comme le Grand Theatre et la salle de danse Diamond Tooth Gertie’s, allaient recevoir une nouvelle couche de peinture. La fréquentation de l’église anglicane St. Paul, construite pour 1500 $ en 1902, a commencé à grimper, surtout après qu’un étranger est arrivé pour jouer le vieil orgue engourdi. Je découvrirai par la suite que Chuck était aussi le directeur musical chez Gertie’s, où il faisait répéter le can-can aux filles pour qu’elles soient prêtes à la grande ouverture, fin mai. (« Le can-can n’est pas une danse, m’a-t-il confié. C’est un sport olympique. ») Tandis que les amoncellements de neige fondaient et que la voirie se transformait en chemins de boue, les bars et boutiques de cadeaux de la rue Front ont à tour de rôle déverrouillé leurs portes. Un traversier a commencé à offrir la desserte d’été au franchissement du fleuve Yukon. Des guides costumés personnifiaient qui des prospecteurs, qui des danseuses de can-can, qui des croupiers de casino. Deux fois par jour, un jeune homme resplendissant en manches de chemise et gilet déclinait le récit de l’incinération de Sam McGee à la porte de la cabine de Robert Service.

Dawson avait encore l’air d’un plateau de cinéma. Cependant, à mesure que les jours s’allongeaient inlassablement vers minuit et que les touristes affluaient, elle prenait elle-même un rôle : celui de la vieille ville fantôme rejouant sa belle époque. C’était fascinant à voir, et c’était devenu très difficile de partir.