Samantha Cutrara garantit des liens affectifs avec l’histoire via la technologie
Pourquoi les jeunes devraient apprendre l’histoire? Demandez à Samantha Cutrara. Pour elle, la réponse est simple : parce que les jeunes le veulent.
« C’est tellement cliché de dire : “Pour qu’ils n’oublient pas le passé.” Je ne dis pas ça », a dit Cutrara au téléphone. « Le fait est que les élèves veulent apprendre l’histoire. Ils veulent comprendre le monde autour d’eux – ils en meurent d’envie, ils le demandent. »
Toutefois, la volonté, aussi grande soit-elle, ne nous indique pas toujours la voie à suivre. Enseigner l’histoire aux élèves n’est pas toujours simple – et maintenir leur intérêt est encore plus difficile. Cutrara s’efforce de relever ce défi, à titre de spécialiste des stratégies de l’enseignement de l’histoire à Toronto.
Elle fait le pont entre les professeurs « traditionnels » (les enseignants) et les professeurs « non traditionnels » (par exemple, les spécialistes du patrimoine, les archivistes et les bibliothécaires) dans le but d’élaborer des programmes d’histoire qui parlent aux jeunes.
« C’est tellement facile de rester pris dans une enclave – ce n’est pas une critique, ça fait simplement partie de la réalité du monde du travail. Une des choses qui caractérise mon travail est que je transmets tout ça. »
La perspective de Cutrara est influencée par son opposition à un modèle largement utilisé appelé « la pensée historique », une conception dans laquelle l’apprentissage et l’enseignement de l’histoire sont essentiellement basés sur les compétences, selon elle.
« Je trouve ça problématique pour plusieurs raisons : ça peut enlever à l’histoire la dimension émotionnelle et la signification personnelle qui sont, je crois, les éléments clés de ce que devrait être l’enseignement de l’histoire, en particulier dans un monde en mutation. »
Son opinion, elle l’admet, n’est pas inconnue dans le secteur. « Dans le milieu de l’enseignement de l’histoire, j’ai été qualifiée de “la plus dure critique de la pensée historique au Canada”, un sobriquet que j’assume », dit Cutrara.
Afin de s’éloigner de ce modèle, Cutrara préconise des méthodes d’enseignement de l’histoire plus participatives et stimulantes au niveau émotionnel. Elle estime que ce but peut être atteint en combinant la structure d’une classe avec les ressources d’un lieu historique, d’un musée ou d’archives.
Sa recette du succès est tripartite. « Pour qu’il y ait un véritable apprentissage, il faut trois choses : un lien avec les connaissances antérieures, des informations intéressantes et la possibilité pour l’apprenant de choisir. »
En reliant la matière enseignée en classe aux connaissances antérieures des élèves, les enseignants peuvent rejoindre les élèves à un niveau plus profond, selon elle. Elle soutient que cela n’arrive pas assez souvent.
« Nous ne créons pas fréquemment ces conversations auxquelles les élèves peuvent participer en se servant de leurs connaissances », dit Cutrara. « Si les enseignants ne puisent pas dans ce que les élèves savent déjà, ils ne peuvent pas les aider à développer leurs connaissances vers quelque chose qui est davantage basé sur les faits ou sur un jugement critique. »
Un projet basé sur la production participative peut rendre cela possible, d’après Cutrara. Elle consulte des sites Web tels Wikipedia et Genius.com auxquels les membres du public peuvent ajouter leurs connaissances et leurs expériences et ainsi bâtir un réseau d’informations. Ce type de plateforme sur Internet permettrait aux élèves d’établir des liens avec des informations qui les intéressent – le second aspect de son modèle d’enseignement.
« Les nouveaux médias nous permettent de faire ça », dit Cutrara. « Des choses comme des photographies et des vidéos permettent les liens affectifs, émotionnels. Créer une archive ou une exposition en ligne permet aux élèves de mieux comprendre et organiser des sources de première main et d’argumenter. »
Cutrara a vu ce modèle mis en pratique. Entre 2012 et 2014, Cutrara a agi à titre de coordonnatrice principale de l’éducation et des expositions aux Archives publiques de l’Ontario. Son modèle participatif, qui permettait aux élèves de découper et de coller des photographies plutôt que d’apprendre sur la structure des archives elles-mêmes, était très éloigné de la manière dont les archivistes impliquaient les élèves auparavant.
« L’élément clé de ce programme était le changement d’approche : on passait de “Voici comment un archiviste travaille” à “Voici ce avec quoi un archiviste travaille; déconstruisons ces choses et explorons-les », dit Cutrara. « Nous ne nous penchions pas sur l’archivistique comme s’il s’agissait d’une chose précieuse qu’il ne faut pas toucher. À la place, nous la regardions à travers ce kaléidoscope d’histoires et d’émotions. »
Comment pense-t-elle créer des espaces et des plateformes qui permettent un apprentissage véritable, soit en assurant des liens avec les connaissances antérieures, en proposant des informations intéressantes et en permettant à l’apprenant de faire des choix? Cutrara dit que la solution se trouve dans la technologie. Les élèves développeront une relation plus profonde avec l’histoire grâce à des plateformes en ligne qui leur donneront l’occasion tout d’abord d’explorer des sources de première main pertinentes pour eux, ensuite de s’associer à elles au niveau émotif et finalement de faire preuve de plus d’autonomie dans le processus d’apprentissage.
« De cette façon, ce ne serait pas simplement une plaque à propos de cette histoire, de ce moment ou de ce lieu », dit Cutrara, « mais plutôt une page à propos d’avant et d’après – ça permettrait de partager ces “avant” et ces “après”. »
« Il n’y a aucune raison pour que, dans un monde hautement connecté comme le nôtre – dans lequel nous avons tous un ordinateur dans nos poches –, nous ne créions pas l’opportunité d’apprendre davantage. »
Le premier livre de Cutrara, Imagining a New “We”: Canadian history education for the 21st century, sera publié en 2020 chez UBC Press. Pour en savoir davantage sur son travail, consultez www.SamanthaCutrara.com.