Protéger le patrimoine autochtone : Leçons du passé

Quand la Commission de vérité et de réconciliation a publié son rapport final en décembre 2015, elle a souligné l’importance du patrimoine autochtone et la nécessité aussi bien d’une réconciliation à la suite d’injustices passées que de protections pour l’avenir. J’ai le bonheur de travailler dans le domaine du patrimoine depuis 23 ans, d’abord comme archéologue, puis comme conseillère stratégique en matière de patrimoine culturel. J’ai ainsi constaté moi-même cette nécessité.

J’ai travaillé surtout avec mes propres gens, dans le territoire du Traité no 8 en Colombie-Britannique. Je suis membre des Premières Nations des Saulteaux. J’ai aussi travaillé avec les Gitxsan, les Nlaka’pamux et les Secwepemc, dans le Centre de la Colombie-Britannique. J’ai vu évoluer le domaine du patrimoine au cours des décennies, mais bon nombre des défis à relever restent entiers en ce qui concerne la protection du patrimoine culturel matériel et immatériel des Autochtones. Par exemple en Colombie-Britannique, tout objet patrimonial datant d’avant 1846 reçoit une certaine protection en vertu de la Heritage Conservation Act, parce qu’il est considéré comme étant préhistorique ou archéologique. Cette « protection » provinciale se résume à la délivrance d’un permis pour l’enlèvement de l’objet. Pour ceux qui s’efforcent de conserver le patrimoine autochtone, le processus peut être source de frustration.

La vallée de la rivière de la Paix, dans le nord-ouest de la Colombie-Britannique (Photo : Karen Aird).

Il y a trois ans, ma frustration a atteint un point critique. J’étais invitée comme témoin expert pour les Premières Nations du Traité no 8 pendant les audiences du comité d’examen dans le cadre de l’évaluation environnementale du barrage du site C (sur la rivière de la Paix, près de Fort St. John). Le barrage inondera 83 km de la vallée de la rivière de la Paix. Quand j’ai comparu devant le comité, j’ai exprimé mes préoccupations quant à l’impact du projet sur le patrimoine et les droits en vertu des traités. En plus des impacts pour des lieux de sépulture autochtones, des lieux utilisés à des fins traditionnelles et des valeurs du patrimoine immatériel, plus de 300 sites archéologiques seraient détruits. Le comité fédéral-provincial a fait écho à ces préoccupations, mais le gouvernement de la Colombie-Britannique a approuvé le projet.

Le site de la grotte du lac Charlie (Tse’K’wa), dans la vallée de la rivière de la Paix, recèle des traces d’occupation humaine datant de 10 000 à 12 000 ans. Ce site est protégé, mais les experts s’inquiètent de ce que des centaines de sites archéologiques semblables seront détruits par l’inondation que causera le barrage du site C (Photo : Karen Aird).

En février 2016, après des années d’efforts infructueux pour faire progresser des dossiers touchant le patrimoine culturel autochtone dans le cadre des processus gouvernementaux, Yvonne Boyer, l’historienne Julie Harris, la mairesse d’Iqaluit Madeleine Redfern et moi-même avons formé le Cercle du patrimoine autochtone. Cet organisme sans but lucratif se consacre à l’avancement des connaissances sur le patrimoine autochtone et à sa conservation. Il entend s’attaquer à des besoins clés pour la protection du patrimoine autochtone :

  • créer une tribune inclusive où discuter de connaissances et de préoccupations au sujet des enjeux liés au patrimoine culturel autochtone;
  • militer en faveur de programmes culturels et de protocoles pour la santé et le bien-être;
  • tirer parti des compétences des jeunes et des aînés pour identifier, protéger et interpréter le patrimoine;
  • appliquer les traditions légales et les méthodes de conservation autochtones à la gestion et à la protection du patrimoine culturel.

J’ai l’espoir que le gouvernement fédéral prendra les mesures qui s’imposent, en assurant un soutien financier sur le long terme qui permettra au Cercle du patrimoine autochtone de travailler à tous ces dossiers touchant au patrimoine autochtone.

La première photo : Karen Aird profite du paysage dans le nord-ouest de la Colombie-Britannique (Photo : Remi Farvacque).

 

Note de la rédaction : Le 21 juin est la Journée du patrimoine autochtone, quand les Canadiens, partout au pays, célèbrent le patrimoine et la culture des Premières Nations, des Inuits et des Métis du Canada. C’est aussi une journée propice à la réflexion. Dans le monde du patrimoine, nous avons réalisé de grands progrès dans la protection du patrimoine autochtone, mais il reste beaucoup à faire. L’an dernier, la Fiducie nationale du Canada a été heureuse d’être l’hôte de la table ronde sur le patrimoine autochtone MOH-KINS-TSIS, consacrée aux enjeux entourant la protection du patrimoine autochtone. Nous entendons bien poursuivre la discussion lors de notre deuxième table ronde sur ce thème, à Hamilton en octobre dans le cadre de la Conférence 2016 de la Fiducie nationale. Dans les préparatifs des deux tables rondes, nous avons pris connaissance de personnes passionnées, dans différentes régions du pays, qui s’employaient à assurer le progrès et à faire mieux connaître le patrimoine autochtone au Canada. Nous avons été inspirés par des personnes comme Karen Aird, cofondatrice du Cercle du patrimoine autochtone, éloquente chef de file en faveur du changement. Nous avons invité Karen à exprimer ses réflexions sur la protection du patrimoine autochtone au Canada.