Lutter contre le pouvoir : transformer les villes par une révolution d’idéologie, d’imagination et de valeurs

Stephanie Allen a présenté un discours captivant lors de la conférence de la Fiducie nationale & APT en 2020 qui a démontré comment le racisme anti-Noir au Canada a mené à la création et au déplacement de Hogan’s Alley, le seul quartier noir qui ait existé à Vancouver.

Lisez son point de vue sur ce que la planification et le développement urbain, ainsi que la préservation du patrimoine révèlent sur qui et ce qui compte dans nos villes – et ce qu’une révolution idéologique, qui passe par la créativité et les valeurs, peut nous offrir dans notre quête de moyens pour sortir de la crise dans laquelle nous nous trouvons actuellement.


 

Je suis promotrice immobilière de métier. J’ai récemment achevé une maîtrise en études urbaines; dans ce cadre, je me suis intéressée en particulier à l’établissement et au déplacement des personnes d’origine africaine au Canada, en Colombie-Britannique et à Vancouver. Comme descendante d’Africains réduits à l’esclavage, j’ai été presque entièrement coupée de mon héritage ancestral, mon peuple, ses pratiques spirituelles, ses systèmes économiques, ses structures politiques, ses pratiques agricoles, ses types de bâtiments, et son caractère. Même mon nom a été volé à ma famille au moment de son asservissement : il a été remplacé par le nom de propriétaires d’esclaves qui ont imposé des systèmes eurocentriques afin de subjuguer et d’opprimer les Noirs.

Halifax Gazette, 3 novembre 1760. Photo : Nova Scotia Archives.

 

L’histoire du racisme anti-Noirs au Canada est méconnue, bien que la pratique de l’asservissement d’Africains ait duré 200 ans dans ce pays. À partir de l’affranchissement des personnes d’origine africaine, le statut de ces dernières « a changé, passant d’une condition légale à une condition biologique — d’esclaves à Noirs »[1]. Malheureusement, l’affranchissement n’est pas allé de pair avec la fin du racisme anti-Noirs à l’intérieur du territoire qui allait devenir le Canada; il n’a pas non plus permis une participation équitable entre les membres de la société. Comme c’est le cas d’autres nations qui se servent du capital humain pour en tirer profit, aucune réparation n’a été offerte à ceux jadis réduits à l’esclavage pour les mauvais traitements et le vol de richesses qui se sont poursuivis pendant des siècles; il n’y a pas eu non plus d’engagement formel relatif à la justice et l’équité raciale, même après l’abolition de l’esclavage.

Après 1835, soit l’année de l’affranchissement des personnes asservies dans l’Empire britannique, les représentants gouvernementaux sont devenus favorables à une migration sélective des Noirs au Canada pour deux raisons. Premièrement, c’était un moyen de consolider la souveraineté britannique sur les terres volées aux peuples autochtones. Deuxièmement, c’était un outil de dissuasion face à l’expansion du territoire américain. En témoigne, par exemple, la promesse de liberté faite aux esclaves s’ils se battaient aux côtés des Britanniques pendant la guerre de l’Indépendance.

On trouve un autre exemple à l’époque où la Confédération faisait l’objet de débats dans l’est du Canada. James Douglas, désigné pour présider les premiers postes de traite sur la côte ouest, a dû faire face à l’arrivée d’une vague de mineurs américains à la recherche d’or dans la région du fleuve Fraser. Craignant que les Américains dominent la colonie à la population clairsemée et qu’ils offrent un soutien significatif à l’annexion de la région aux États-Unis, Douglas a cherché à trouver des immigrants potentiellement favorables aux intérêts britanniques. Douglas était lui-même de descendance à la fois africaine et européenne, ce qui explique peut-être son ouverture à l’endroit des migrants noirs. Douglas a tendu la main à des membres de la San Francisco’s Black Community qui cherchaient à fuir leur pays natal. En 1857, une décision de la Cour suprême des États-Unis avait refusé la citoyenneté américaine aux personnes d’origine africaine, qu’elles soient asservies ou libres. Douglas leur a promis la citoyenneté britannique après cinq ans de propriété terrienne, ainsi que la pleine protection de la loi.

Les Victoria Pioneer Rifles (ou « carabiniers africains »). Photo : Image C-06124, avec l’autorisation de Royal BC Museum and Archives de Victoria.

 

La communauté noire a formé le « Comité des pionniers », constitué de 35 membres, afin d’examiner l’offre. La délégation noire qui a rencontré Douglas a exprimé l’optimisme de sa communauté à l’idée de trouver refuge à Victoria, mentionnant dans une lettre : « Nous avons décidé de chercher asile à l’étranger, loin de l’oppression, du préjudice et de la persécution continue qui nous ont poursuivis depuis plus de deux siècles dans notre pays natal. Pour ces raisons, une délégation a été envoyée à l’île de Vancouver, un lieu qui nous a laissé entrevoir, au moment le plus sombre, la perspective d’un avenir heureux sur cette terre britannique, et la délégation a vérifié et rendu compte de la condition, du caractère, des privilèges sociaux et politiques et des ressources vivantes. »

Peu de temps après cette rencontre, plusieurs familles américaines noires se sont établies dans la région. Rapidement, certains membres ont pris de l’importance au sein de la communauté : ils sont devenus propriétaires terriens et ont accédé à des fonctions prestigieuses, par exemple dans le corps policier et au sein de conseils scolaires et municipaux. Bien que les réalisations de ces individus aient été remarquables à une époque de domination blanche, les documents historiques révèlent que ces personnes étaient toujours victimes de racisme systémique et interpersonnel peu de temps après s’être installées dans leur nouveau pays. Elles étaient actives dans tous les secteurs de l’économie, s’efforçant de devenir des citoyens respectés dans leur nouveau pays, mais en vain. Comme ces demandeurs d’asile l’ont rapidement et brutalement compris, le racisme anti-Noirs n’était pas proprement américain.

Ce bref survol historique met en lumière des liens à la base de la domination systémique blanche au Canada. Les Noirs étaient simultanément soumis afin de créer de la richesse et exploités pour faire respecter et protéger la souveraineté de l’Empire britannique en combattant l’empiètement des États-Unis dans ses colonies. C’était là le fondement de la version canadienne du racisme anti-Noirs : extraire de la valeur par le biais de l’exploitation, tout en continuant de causer un préjudice violent.

C’est dans ce cadre que le quartier de Hogan’s Alley à Vancouver a été créé puis déplacé. Certaines personnes qui s’étaient établies sur l’île de Vancouver ont déménagé vers la ville de Vancouver en même temps que d’autres Noirs qui arrivaient d’autres régions du Canada, des États-Unis et des Caraïbes. La communauté noire s’est installée dans le sud-ouest de la région, connue à la fin des années 1800 sous le nom de Strathcona. Le quartier est devenu la « Hogan’s Alley », non pas parce que quelqu’un de ce nom y vivait, mais parce que ce mot péjoratif issu de l’argot était employé pour désigner les zones urbaines moins nanties et racisées en Amérique du Nord, d’après une bande dessinée de l’époque qui exploitait les tensions raciales dans les grandes villes. Madame Neely, qui s’est installée à Vancouver en 1944, rapporte dans le livre Opening Doors : « Quand je suis arrivée ici, ce quartier était constitué d’immeubles négros qui étaient tous remplis de Noirs. »

Empreinte du quartier historique de Hogan’s Alley à Vancouver, dans son contexte urbain actuel. Photo : Vancouver Heritage Foundation — Places that Matter.

 

Dans mon mémoire de maîtrise, Fight the Power : Redressing Displacement and Building a Just City for Black Lives in Vancouver (2019), je me penche sur trois raisons pour lesquelles des personnes noires ont choisi de s’installer dans Hogan’s Alley.

La première raison est liée à une règlementation restrictive relative à l’affectation des terrains. Le racisme systémique a été intégré dans les politiques de planification en partie à cause de Harland Bartholomew, chargé en 1926 de développer le plan inaugural de la ville de Vancouver. Établi à Saint-Louis, Bartholomew (le premier urbaniste professionnel américain) était un fervent ségrégationniste qui partageait l’idéologie dominante de la société blanche en matière de race et de classe. Cette idéologie a influencé sa manière de développer les plans de zonage des villes américaines dans lesquelles il a travaillé. En 1916, lorsque la Cour suprême des États-Unis a invalidé une ordonnance de zonage qui interdisait ouvertement aux Noirs de s’établir dans des quartiers majoritairement blancs à Louisville (Kentucky), Bartholomew a trouvé un moyen de contourner cette décision. Son plan de zonage des années 1920 à Saint-Louis a permis à la ségrégation raciale de se poursuivre par le biais de classifications distinctes relatives à l’affectation des terrains qui se basaient sur la qualité des maisons et leur densité. Ces classifications allaient dans le même sens que les clauses restrictives sur le plan racial qu’on trouvait dans le contrat entre acheteur et vendeur et qui étaient alors acceptables en common law. Les politiques de Bartholomew ont ainsi maintenu le clivage, gardant les communautés racisées moins fortunées loin des quartiers riches des Blancs, contournant la décision de la Cour suprême.

 

Exemple de clause restrictive dans les titres de propriété des West Vancouver’s British Properties. Photo : North Shore News.

 

Alors que le plan de Bartholomew pour Vancouver n’était pas encore complètement mis en œuvre, la conception des premières lois relatives au zonage dans la municipalité s’est largement inspirée de ses idées. Cet héritage perdure aujourd’hui.

Le deuxième moyen par lequel la discrimination a été entérinée dans le domaine du logement à Vancouver est par le biais de l’adoption de clauses restrictives sur le plan racial; plusieurs de ces clauses se trouvent encore sur les titres de maisons unifamiliales situées dans des secteurs aisés. En s’ajoutant aux pratiques de location discriminatoires, ces clauses ont relégué les gens d’origine africaine et d’autres groupes racisés au secteur de Strathcona à Vancouver. En 1950, Leonard Marsh, professeur de travail social à la University of British Columbia, a fait la remarque suivante à propos des résidents de Hogan’s Alley : « Plusieurs d’entre eux pourraient se permettre de vivre ailleurs, mais il n’est que trop évident qu’ils ne se sentiraient pas bienvenus. »

Pique-nique de la Fountain Chapel (1935), une église située dans le quartier de Hogan’s Alley. Photo : la famille Gibson, photo extraite du site Blackstrathcona.com

 

Ainsi, après avoir été rejetés et après qu’on les ait empêchés d’acheter des maisons dans des secteurs plus favorisés même s’ils pouvaient se le permettre financièrement, les Noirs se sont rassemblés dans ce quartier pour une troisième raison : la proximité de leur lieu de travail et le développement de tissus sociaux. Certains hommes noirs de la communauté travaillaient comme préposés dans des voitures-lits; Hogan’s Alley se trouvait tout près de la gare. C’est aussi dans ce quartier que les entrepreneurs noirs (les femmes, en particulier) pouvaient se permettre d’ouvrir de petites entreprises et des restaurants, fréquentés par une clientèle de résidents noirs, de visiteurs et de personnes non noires.

Dans mon travail de recherche, je présente quatre facteurs qui ont participé au déplacement du quartier de Hogan’s Alley dans les années 1950, au plus fort du programme fédéral de réaménagement urbain. Tout d’abord, l’arrêté municipal de 1931 a fait en sorte que la majorité du secteur couvert par Hogan’s Alley et ses environs est devenue une zone industrielle, ce qui a fait chuter la valeur des maisons, celles-ci devenant non conformes à l’affectation des terrains. En conséquence, il a été plus difficile pour les propriétaires d’obtenir du financement pour des rénovations ou encore, de vendre leurs propriétés : la seule possibilité de revente était auprès de la Ville de Vancouver. Après avoir acheté ces propriétés, la Ville les a laissées vacantes, ce qui a entraîné une baisse de l’évaluation des propriétés environnantes. Deuxièmement, je démontre dans mes recherches que les articles de journaux de l’époque perpétuaient des préjugés raciaux, dépeignant la collectivité comme un endroit sordide et immoral, tout en passant sous silence le caractère travailleur des propriétaires de petites entreprises locales, ainsi que la présence de familles et d’une communauté religieuse dans le quartier. Les gens du quartier étaient ainsi déshumanisés et présentés comme ne méritant ni soutien ni investissement municipal. Troisièmement, la Ville a aussi laissé le quartier se détériorer en refusant d’investir dans des infrastructures publiques, comme des trottoirs et des rues, et, occasionnellement, en négligeant de ramasser les ordures résidentielles pendant des semaines. De la créosote était pulvérisée sur les trottoirs et les rues pour tasser la poussière qui s’accumulait.

Un aperçu de Hogan’s Alley en 1958. Photo : City of Vancouver Archives, Bu P508.35

 

Ces trois facteurs ont fait du quartier de Hogan’s Alley un ghetto à Vancouver. Malgré tous les efforts de la communauté pour bâtir et entretenir une enclave vivante qui soutienne ses membres et les protège de la majorité raciste de l’époque, la négligence intentionnelle, la criminalisation et les modifications apportées à l’affectation des terrains afin de diminuer la valeur des maisons ont eu un impact dévastateur sur la communauté. Le terrain était prêt pour le coup final : la démolition-reconstruction urbaine.

Dans les années 1950, le gouvernement canadien a déployé un programme de réaménagement urbain inspiré de celui des États-Unis. En 1956, le programme de réaménagement urbain de la Société canadienne d’hypothèques et de logement permettait aux villes de profiter des fonds fédéraux pour se débarrasser des quartiers pauvres, après avoir publié des études approfondies sur des secteurs « gâchés ». Parmi ces études, on trouve celle publiée en 1957 par la Ville de Vancouver à propos du quartier de Hogan’s Alley : celui-ci était dépeint comme étant l’un des pires secteurs et donc, comme étant la priorité en matière de réaménagement. En plus de la menace d’éviction imminente, l’ensemble de ces facteurs discriminatoires ont contraint les résidents noirs à quitter East Vancouver. Hogan’s Alley a été rapidement démoli et effacé du paysage de la ville. Aujourd’hui, on trouve, à sa place, un petit segment d’un réseau d’autoroutes surélevé inachevé, qui faisait partie des plans de réaménagement urbain.

Construction du viaduc Georgia, qui traversait le quartier de Hogan’s Alley, en 1971. Photo : City of Vancouver Archives, CVA 216-1.23

Dans les années 1960, James Baldwin a écrit : « On ne peut pas changer tout ce à quoi l’on fait face. Mais rien ne peut être changé avant que l’on n’y fasse face. » Ce survol de l’héritage méconnu des Noirs au Canada représente un angle critique à partir duquel envisager la crise sociale, économique et environnementale actuelle, nos valeurs fondatrices et nos normes en matière de politiques, duquel échafaudage ont émergé nos villes. Ce survol permet aussi de mettre au jour la fondation qui a servi de base à notre héritage culturel et qui continue à le protéger : une fondation qui entretient et renforce la suprématie blanche, la pauvreté, la misogynie, le racisme et le validisme dans nos villes.

Pensez-y : lors de la création des zones urbaines au Canada, où étaient les personnes vivant avec un handicap? De façon tragique, elles étaient systématiquement enfermées dans des asiles et rejetées hors de la vie publique. L’inaccessibilité des bâtiments et des espaces publics est rarement prise en compte lorsque vient le temps d’évaluer si ces lieux méritent d’être préservés pour leur valeur patrimoniale. Que nous révèle cette façon de faire quant à l’importance que nous accordons aux personnes ayant des handicaps, lorsque nous conservons précieusement des endroits auxquels ils ne pourront jamais avoir accès?

Vie’s Chicken and Steaks en 1971 (la maison au centre, devant laquelle se trouve un camion à benne). Photo : City of Vancouver Archives, CVA 216-1.23

 

Ou encore, quel patrimoine commémorons-nous et chérissons-nous? À gauche se trouve une photo du district de Mole Hill, classé patrimonial, dans le West End de Vancouver; ce district comprend une trentaine de propriétés désignées patrimoniales. Sur la photo de droite, on voit Vie’s Chicken & Steaks avant sa démolition; ce commerce a été sous la direction de Vie et Bob Moore pendant plus de 31 ans et a été fréquenté tant par des travailleurs de nuit que par Louis Armstrong, Lena Horne, Cab Callaway et Sammy Davis Junior. Le site du commerce sera bientôt réaménagé. Un examen de la Ville a conclu que les bâtiments n’avaient pas de « valeur patrimoniale ». Néanmoins, le document contient une note de bas de page qui mentionne qu’ils devraient être reconnus et commémorés pour leur importance historique pour la communauté noire. C’est un défi de taille pour cette dernière, puisqu’elle n’a aucun contrôle sur le site ni de moyens financiers pour le commémorer sans l’aide de financement gouvernemental. Bien que le propriétaire se soit montré ouvert à l’idée de faire participer la communauté noire, les propriétaires n’ont pas l’obligation aujourd’hui d’aller dans le sens de la vision proposée pour un site ni de collaborer avec la communauté.

Vancouver est une ville où l’on trouve les quartiers les plus riches et les plus pauvres au Canada. En Colombie-Britannique, des milliers de personnes vivent dans une situation d’itinérance; parmi elles, les autochtones et les personnes racisées sont largement surreprésentées. Les écarts de salaires, le manque de logements abordables, les traumatismes physiques et mentaux non traités qui mènent à des problèmes de dépendance, les politiques ratées en matière de protection de l’enfance, le soutien inadéquat offert aux nouveaux arrivants d’origines ethnoculturelles marginalisées, et le soutien financier largement insuffisant pour soutenir des individus aux profils variés (en particulier, ceux vivant avec des handicaps) sont des enjeux de plus en plus problématiques. Dorénavant, nous ne pouvons plus faire de planification et de développement de zones urbaines en demeurant dans la position confortable de privilégiés; en favorisant ceux qui ont du pouvoir et qui sont avantagés; en valorisant notre héritage colonial par le biais de son patrimoine bâti tout en dévalorisant les vies humaines qui dorment dans les entrées de porte. Vous vous demandez peut-être : « Mais qu’est-ce que je peux y faire? ». Après tout, vous avez des emplois qui sont essentiels aux entreprises et il faut répondre à la demande du marché. Je vous répondrai que l’ampleur des crises auxquelles nous faisons face est désormais incontestable et que nous ne pouvons plus repousser ni éviter les conséquences de ces crises.

J’ai pris la photo à gauche depuis la fenêtre de mon bureau le 12 septembre 2020. La fumée des feux de forêt dans les États de Washington et d’Oregon a fait de Vancouver la ville avec la qualité de l’air la plus médiocre dans le monde ce jour-là. La photo à droite a été prise il y a deux ans dans l’intérieur méridional de Colombie-Britannique; les inondations y sont de plus en plus graves d’année en année. Je mentionne aussi au passage les ravages occasionnés par la pandémie de COVID-19 et ses impacts sur la société, la culture, l’économie et le bien-être humain. Tous ces éléments démontrent que le statu quo est fondé sur des inégalités; nous sommes mal préparés pour opérer les changements rapides et fondamentaux qui sont nécessaires pour assurer notre survie face aux défis auxquels nous sommes confrontés.

Ma suggestion est d’en finir avec le statu quo afin de le remplacer par des systèmes, des structures et des normes basés sur notre humanité partagée, tout en reconnaissant que nos destins sont étroitement liés. Pour ce faire, nous devons mettre un terme aux fondements oppressifs et discriminatoires sur lesquels nous avons bâti nos villes.

Ce premier pas mettra en pleine lumière la manière dont nos villes privilégient certains d’entre nous et nuisent à d’autres. Bien sûr, en être conscient ne suffit pas : il faut agir pour atteindre l’équité. Différentes stratégies peuvent être déployées dans ce but, à condition d’être centrées sur les besoins et la voix des personnes et des communautés marginalisées. Nous devons contrecarrer le processus à chacune de ses étapes, en commençant par comment et qui décide des politiques jusqu’à la redistribution des bénéfices et des ressources — et ne pas le faire de façon simplement symbolique. Chose certaine, ce n’est pas facile à faire, surtout dans un environnement urbain qui privilégie les intérêts financiers. Cependant, si des personnes au sein de vos équipes de travail et de vos organisations ont vécu et analysé en profondeur la manière dont le racisme, le validisme et la colonisation influencent la planification, l’architecture, le développement et la conservation du patrimoine, et que ces personnes se voient confier des rôles de sensibilisation et de direction, cela permettra de transformer la qualité de notre travail, ainsi que nos politiques et nos pratiques. Un tel changement impliquera aussi que nous cessions de dépendre de méthodes de planification technocratiques qui favorisent les intérêts d’hommes blancs, valides, cisgenres et nantis; ces méthodes ne permettent pas de créer des villes équitables.

Je plaide plutôt en faveur d’une révolution d’idées et de valeurs. Laissons libre cours à notre imagination pour cesser d’être attachés à des systèmes dépassés et nuisibles. Et si nous mesurions les résultats différemment, en établissant des normes favorables au mieux-être humain, aux conditions de vie des communautés et aux personnes désavantagées? Nous pourrions créer conjointement avec les communautés sous-représentées; répartir autrement le pouvoir; et soutenir des revendications qui peuvent nous remettre en question ou nous mettre mal à l’aise. Nous pouvons puiser dans notre créativité et notre imagination, rarement conviées à la table lorsque vient le temps de résoudre des problèmes, ou encore dans la sagesse et le savoir où se trouve la clé des problèmes les plus complexes auxquels nous nous heurtons. C’est assurément le cas de la sagesse des communautés autochtones, qui savent très bien comment soutenir et restaurer la nature dans laquelle ils vivent depuis des millénaires.

Nous sommes tous créatifs; nous avons le potentiel de traverser cette période difficile en cessant d’accorder toute notre attention à la préservation du patrimoine d’un seul groupe de personnes — un patrimoine parfois représentatif d’une histoire d’oppression violente — pour plutôt nous servir de notre imagination et prendre pour point de départ des valeurs d’équité, de compassion et d’humanité partagée. Puissions-nous nous mettre au travail pour tracer notre voie au travers des défis qui menacent notre existence.

 

[1] Maynard, R. (2017) Policing Black lives: State violence in Canada from slavery to the present.