Le patrimoine suscite la controverse

Au début de l’année, une société de sondage a interrogé 1000 personnes venant de partout au Canada pour connaître leurs opinions sur les lieux patrimoniaux et leur conservation.

Le sondage, qui a été mené à la demande de la Fiducie nationale et qui s’appuyait sur une enquête réalisée en 2020, s’adressait au grand public et comptait des questions comme : « Quel est votre degré d’intérêt pour les efforts de conservation des lieux patrimoniaux ? » ou encore « Quelles sont les principales raisons pour lesquelles il faudrait les conserver ? ».

Parmi les répondants, 89 % convenaient de l’importance des lieux et sites patrimoniaux et indiquaient clairement les raisons pour lesquelles les Canadiens et Canadiennes y tiennent.

Parmi les Canadiens, 90 % estiment qu’il est très important ou assez important de préserver les lieux patrimoniaux, les bâtiments historiques et les vieux quartiers et districts. Le sous-groupe des personnes qui connaissent 10 lieux patrimoniaux ou plus y est plus favorable encore, jugeant la préservation de ces lieux comme très importante à raison de 71 %.

Les raisons les plus importantes à l’appui de la conservation étaient les suivantes : le reflet des aspects de notre identité canadienne, leur histoire permet de révéler comment leur communauté a évolué et le reflet des différentes personnes qui composent leur histoire.

Pour le grand public, les motifs pour lesquels il est important de conserver ces lieux sont liés à notre pays, à nos histoires, à notre peuple et à nos collectivités. Les personnes âgées de 70 ans et plus sont encore plus convaincues que ces lieux reflètent l’identité canadienne (62 % contre 41 %).

Ces résultats correspondent à ceux d’un sondage mené en 2020 qui démontrait que les gens ressentent de l’appartenance envers les lieux patrimoniaux pour des raisons émotionnelles, notamment parce qu’ils permettent de raconter l’histoire du pays et des collectivités. En revanche, les raisons plus rationnelles soutenant la conservation des lieux patrimoniaux semblaient moins importantes pour le grand public, puisque seulement 12 % des personnes interrogées tenaient compte des avantages environnementaux et seulement 10 % voyaient le potentiel d’adaptation et de réutilisation des lieux.

Les Canadiens estiment qu’il est important de préserver les lieux patrimoniaux en raison du rôle qu’ils jouent dans la narration des récits canadiens, ainsi que de l’histoire du pays et de ses habitants. Les motifs les plus invoqués sont d’ordre émotionnel plutôt que pratique (c. -à d., l’histoire par rapport aux avantages environnementaux ou à la valeur de la propriété).

Lorsque le grand public était questionné sur les sujets d’intérêt liés à la conservation du patrimoine, les trois sujets en tête de liste étaient la beauté de l’architecture et des paysages historiques, l’importance des bâtiments et des structures, et la réutilisation des vieux bâtiments.

Les membres du grand public placent la beauté et l’importance historique au premier rang des aspects qui les intéressent.

Outre le sondage du grand public, un autre sondage a été mené auprès de 500 personnes faisant partie du mouvement de conservation du patrimoine pour connaître leurs propres motivations, défis et exploits. Les personnes participant au travail de conservation du patrimoine ont relevé des motivations qui correspondaient sensiblement aux sujets d’intérêt du grand public. Toutefois, contrairement au grand public, elles ont fait mention des moteurs clés suivants pour la conservation du patrimoine : la contribution au bien-être de la collectivité et la responsabilité éthique pour les générations futures.

Bien que les répondants du secteur se disent motivés par des aspects correspondant en majorité à ceux du grand public, la responsabilité éthique de préserver ces lieux pour les générations futures et la contribution au bien-être de la communauté sont des motivations qui se classent plus haut au sein du secteur.

« Il est intéressant de constater que le grand public ne partage peut-être pas l’idée que le secteur du patrimoine est en soi un domaine motivé par le bien-être de la collectivité et la gestion éthique de l’avenir. La “marque du patrimoine” reçoit certainement des commentaires mitigés ces jours-ci et le mouvement se heurte à divers défis qui ébranlent ses fondements », déclare Natalie Bull, directrice générale de la Fiducie nationale et responsable des récents sondages. À l’heure où la réconciliation, la diversité et l’inclusion sont au cœur des préoccupations de la société, les musées, les lieux patrimoniaux et les organisations doivent faire face à une longue histoire qui privilégie le récit dominant. Dans certaines municipalités, la conservation du patrimoine est considérée comme un obstacle au développement de logements qui sont nécessaires ou comme une mesure que les gens ne veulent « pas dans leur cour ».

En Ontario, cette critique occasionnelle a fait surface lors de la publication du rapport du Groupe d’étude sur le logement abordable du gouvernement de l’Ontario en février 2022 (et dans la Loi visant à accélérer la construction de plus de logements qui s’en est suivie peu de temps après, en novembre 2022). Le rapport a directement mis en cause le patrimoine, en déclarant : « Bien que les vrais lieux patrimoniaux soient importants, la conservation du patrimoine est également devenue un mouvement qui diminue considérablement le nombre de logements. »

La « marque du patrimoine » est au cœur de l’initiative de renouvellement du patrimoine, un projet partiellement financé par le ministère du Patrimoine canadien et dirigé par une douzaine de partenaires et conseillers de la Fiducie nationale. À l’aide de sondages, de discussions, de campagnes de sensibilisation et de travaux de recherche, l’initiative prend le pouls du secteur, explore la vision du grand public concernant le patrimoine et recueille des exemples où la conservation du patrimoine peut jouer un rôle important en matière d’équité sociale, de diversité, de changement climatique et de logement.

« Le sondage sectoriel révèle que les personnes faisant partie du mouvement ont des préoccupations importantes. Les plus grands problèmes qui ont été relevés sont l’incapacité d’obtenir le financement, les subventions ou les dons publics qui sont nécessaires, l’incapacité d’attirer l’attention des personnes dirigeantes, des médias ou du grand public et l’incapacité de situer le patrimoine comme agent d’action en faveur du climat », affirme Mme Bull. La diversité est également un sujet de préoccupation. Seulement 50 % des personnes interrogées considèrent que la conservation du patrimoine est inclusive, diversifiée, ouverte et accessible, et seulement 0,4 % des personnes interrogées s’identifient comme autochtones ou personnes de couleur, ce qui signifie qu’il y a un manque important de diversité parmi les spécialistes.

Les données suggèrent d’ailleurs que le mouvement en faveur du patrimoine lui-même est avide de changement. Pas moins de 99 % des personnes interrogées reconnaissent qu’un certain degré de changement est nécessaire dans le secteur de la conservation du patrimoine, mais seulement une personne sur cinq demande une révision majeure.

Panneau de signalisation « Reggae Lane ». Little Jamaica, sur Eglinton Street West à Toronto, est un quartier de la ville dont le patrimoine culturel est reconnu. Il illustre parfaitement comment le domaine de la préservation du patrimoine a évolué pour protéger les liens qui unissent une communauté culturelle à un quartier.
Photo: Mary Crandall, de l’article de blogue “As I Walk Toronto

En fait, le mouvement a fait l’objet de nombreux rééquilibrages et réinventions dans son passé. Après s’être concentré sur la restauration des monuments, des patrimoines et des lieux historiques, il a trouvé ses marques à l’époque de la rénovation urbaine comme mouvement social, ce qui lui a permis de se pencher sur l’expatriation des collectivités et la perte des quartiers traditionnels. Au cours des 50 dernières années, le groupe a élargi ses horizons pour se préoccuper également des bâtiments, des centres-villes, des quartiers et des paysages culturels de style vernaculaire. Le secteur de la conservation du patrimoine touche désormais autant les bâtiments et les espaces qui nous entourent que les lieux spéciaux qui sont protégés par la loi ou qui ont été désignés comme sites patrimoniaux. Outre les immeubles et les paysages, les lieux sont de plus en plus reconnus comme des passerelles vers des valeurs immatérielles, des idées et des histoires. Aujourd’hui, la diversité, l’inclusion et la mise en valeur d’histoires cachées sont de plus en plus privilégiées dans l’identification des lieux dignes d’attention. Bien qu’il reste beaucoup de travail à faire, il semble que des changements aient déjà été apportés.

Le projet de conservation du patrimoine de Little Jamaica, une initiative locale visant à préserver les liens entre la communauté culturelle et le quartier, en est d’ailleurs un exemple. Ce projet ne vise pas nécessairement à conserver l’architecture du quartier, mais plutôt à protéger les entreprises et les espaces noirs qui s’y trouvent de son embourgeoisement rapide. « En Amérique du Nord et dans le monde entier, il n’est malheureusement pas rare de constater qu’à l’approche de grands projets d’infrastructure ou d’embourgeoisement, les communautés noires sont généralement les premières à être chassées », déclare Josh Matlow, conseiller municipal du quartier. Le projet du quartier Little Jamaica est un excellent exemple de la manière dont les collectivités peuvent utiliser la conservation du patrimoine pour renforcer le sentiment d’appartenance de leurs membres envers les lieux dans lesquels ils et elles habitent. Il ne s’agit pas seulement d’une question d’architecture et de protection des bâtiments.

De même, le projet de renouveau de logements pour personnes seules de l’organisme BC Housing a démontré que le patrimoine va de pair avec le logement abordable. Ce projet de logement social consistait à rénover 13 bâtiments patrimoniaux du début des années 1900 dans le Downtown Eastside de Vancouver. Achevé en 2017, le projet avait pour objectifs principaux de fournir des logements sûrs, fonctionnels et habitables aux personnes résidant dans le quartier Downtown Eastside, mais surtout de veiller à ce qu’aucune d’elles n’ait à quitter son logement. BC Housing a atteint ces objectifs sociaux et patrimoniaux tout en améliorant l’ensemble des principaux systèmes de construction et en préservant soigneusement les éléments patrimoniaux des 13 bâtiments pendant les rénovations.

Étant le plus grand partenariat public-privé (PPP) d’Amérique du Nord, le projet de renouveau de logements pour personnes seules de l’organisme BC Housing visait la rénovation et la restauration de 13 bâtiments dans le quartier Downtown Eastside de Vancouver. La photo ci-dessus montre trois bâtiments rénovés dans le cadre de ce projet.

Il existe de nombreux autres exemples de projets qui prouvent que la conservation du patrimoine peut s’attaquer à des problèmes sociaux, économiques et environnementaux du Canada. L’initiative de renouvellement du patrimoine consiste en quelque sorte à faire part de ces exemples et à encourager le mouvement à continuer.

Vous avez des idées sur l’avenir de la conservation du patrimoine et souhaitez participer à l’initiative de renouvellement du patrimoine? Contactez-nous à l’adresse suivante : reset@nationaltrustcanada.ca.

 


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