La Convention du patrimoine mondial fête ses 50 ans : regard sur le passé et l’avenir

Un demi-siècle après l’adoption de la Convention du patrimoine mondial de l’UNESCO, notre planète fait face à de nombreuses crises qui menacent l’existence du patrimoine culturel et naturel mondial.

Il est urgent d’agir afin de protéger ces lieux uniques des conflits, des désastres, de l’urbanisme effréné et de la crise climatique. Les gouvernements ne peuvent y parvenir à eux seuls. Pour respecter la promesse de ce traité capital qui date de 50 ans, la société civile et les citoyens du monde entier doivent répondre à l’appel.

Il y a 50 ans, plus précisément le 16 novembre 1972, lors de sa Conférence générale, l’UNESCO adoptait la Convention concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel, plus souvent appelée Convention du patrimoine mondial. Ce traité international découlait de longues discussions entre des experts et des défenseurs de la conservation du patrimoine culturel et naturel. D’abord conçue sous la forme du Fonds du patrimoine mondial lors de la White House Conference on International Cooperation en 1965, puis appuyée lors de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement humain à Stockholm en 1972, la Convention a finalement fait l’objet de dernières négociations à l’UNESCO et a été adoptée par le système des Nations unies.

Le directeur-général de l’UNESCO, René Maheu, signe la Convention du patrimoine mondial le 23 novembre 1972. Photo: © UNESCO.

Des conditions socioéconomiques changeantes qui entraînaient la destruction de lieux à haute valeur culturelle et naturelle ont donné un élan à l’initiative. Comme il s’agit d’un traité international, l’identification, la protection, la conservation et la présentation de ces biens irremplaçables sont des responsabilités qui incombent tout d’abord aux gouvernements nationaux. Puisque plusieurs pays ne disposaient pas des capacités financières, scientifiques et technologiques pour remplir leur rôle, un système efficace de protection collective du patrimoine culturel et naturel de valeur universelle exceptionnelle a été créé, la perte de tels lieux étant jugée un appauvrissement pour les peuples du monde entier.

Trois innovations de la Convention du patrimoine mondial de 1972 se démarquent : une approche holistique qui lie la protection du patrimoine culturel et naturel au sein d’un même instrument juridique; l’institutionnalisation d’un système de coopération internationale pour la sauvegarde de lieux patrimoniaux et le renforcement de la capacité humaine; et une tribune favorable au dialogue et à la compréhension interculturels.

La liste de biens du patrimoine mondial est l’élément le plus connu de ce système.

Sa popularité se reflète dans l’adhésion formelle de la quasi-totalité des pays, ainsi que dans l’importante augmentation du nombre d’inscriptions sur la Liste du patrimoine mondial. En 2022, 194 pays (États parties) ont ratifié la Convention. En outre, 1 154 lieux sont enregistrés sur la Liste du patrimoine mondial et plus de 1 700 biens sont sur la liste d’attente (listes indicatives). Le Canada compte 20 sites sur la Liste du patrimoine mondial et 12 autres sont en attente.

Cependant, ce traité n’est pas qu’un instrument de désignation. Au cours des 50 dernières années, le Comité du patrimoine mondial a développé des méthodes et des outils perfectionnés afin de protéger les lieux patrimoniaux, de surveiller leur état au fil du temps, d’énoncer des mesures correctives en réponse à des menaces et à la dégradation naturelle, et d’assurer un développement de ressources humaines qui permette aux gestionnaires et aux responsables de sites de veiller sur ces lieux particuliers.

La création d’un espace favorable au dialogue international et à une compréhension commune des principes de conservation et des pratiques exemplaires constitue un autre apport important du traité. Les gouvernements, des associations professionnelles telles que ICOMOS, UICN et ICCROM, ainsi que des experts et des chercheurs ont contribué à nourrir notre point de vue sur les pratiques innovantes. Cela a permis, entre autres, de développer une compréhension plus vaste de ce qu’est le patrimoine culturel et naturel. Au cours des premières années, les monuments architecturaux emblématiques, les sites archéologiques et les parcs naturels bien connus se trouvaient tout en haut de la liste. Avec le temps, des bâtiments modestes et typiques, l’architecture moderne, ainsi que des écosystèmes interreliés ont gagné en popularité, la valeur culturelle, sociale, environnementale et immatérielle du patrimoine ayant gagné de l’importance. En 1992, l’ajout d’une nouvelle catégorie réservée aux paysages culturels a ouvert une voie pleine de potentiel rapprochant culture et nature, ce qui rejoignait la vision première des pionniers dans le domaine. Diverses initiatives qui s’intéressent à la nature et à la culture continuent aujourd’hui d’explorer ces possibilités.

 

Des points de vue en évolution

Au Canada, la manière dont la Convention du patrimoine mondial a été appliquée à différentes époques reflète l’évolution de nos points de vue. Les différences entre l’inscription des parcs des montagnes Rocheuses canadiennes en 1984 et celle de Pimachiowin Aki (« La terre qui donne la vie ») en 2018 constituent un bon exemple.

Le site du patrimoine mondial de Pimachiowin Aki (Manitoba et Ontario). Photo: © Pimachiowin Aki Corporation, Hidehiro Otake.

 

Le site du patrimoine mondial des parcs des montagnes Rocheuses canadiennes (Alberta). Photo: © Pixabay.

En 1984, lorsque les parcs des montagnes Rocheuses canadiennes ont reçu la désignation de site du patrimoine mondial, une valeur universelle exceptionnelle était attribuée au site uniquement en lien avec ses caractéristiques physiques et naturelles. Ce paysage montagneux, qui comptait sept parcs contigus, a été inscrit pour deux raisons. Premièrement, le Comité du patrimoine mondial y a vu un exemple exceptionnel des phénomènes géologiques glaciaires, vu les hauts sommets, les champs de glace, les vestiges de glaciers, les canyons, les chutes et les grottes calcaires caractérisant le site. Le site comprend aussi le gisement fossilifère de Burgess Shale, où les restes d’animaux marins à corps mou, qui datent d’environ 540 millions d’années, témoignent des débuts de l’évolution de la plupart des groupes d’animaux qui existent aujourd’hui. Deuxièmement, la nature y est d’une beauté exceptionnelle.

Des fossiles à Burgess Shale au Parc national Yoho (Colombie-Britannique). Photo: © Parcs Canada.

En 2018, soit plus de trente ans plus tard, lorsque Pimachiowin Aki a reçu le statut de site du patrimoine mondial, sa valeur universelle exceptionnelle a été reconnue dans l’entrecroisement d’aspects culturels et naturels, tantôt matériels, tantôt immatériels. Chevauchant la frontière entre le Manitoba et l’Ontario, le paysage y est constitué de rivières qui s’écoulent librement, de lacs, de milieux humides et de forêt boréale. Le site fait partie du territoire ancestral des Anishnabes, un peuple autochtone vivant de la pêche, de la chasse et de la cueillette. Le site inclut les terres ancestrales de quatre communautés anishnabes : celles de Bloodvein River, de Little Grand Rapids, de Pauingassi et de Poplar River.

Au-delà de ses caractéristiques physiques, le site est révélateur de la valeur culturelle que peut avoir la nature. Apprécié pour les phénomènes biologiques et écologiques qu’on y observe et qui font de ce site l’exemple le plus vaste et le plus complet du bouclier boréal d’Amérique du Nord, le site est aussi un exemple exceptionnel de la tradition culturelle et des croyances Ji-ganawendamang Gidakiiminaan (« garder la terre ») qui consistent à honorer les dons du Créateur, à respecter toutes les formes de vie et à entretenir des relations harmonieuses avec autrui. La population locale emploie ce réseau complexe de moyens de subsistance, de lieux d’habitation, de routes et de lieux de cérémonie sacrés depuis 7 000 ans.

Un autre exemple canadien qui témoigne du changement de nos points de vue est celui du site du patrimoine mondial de SGang Gwaay dans la région de Haïda Gwaii.

Le site du patrimoine mondial SGang Gwaay (Colombie-Britannique). Photo: © National Geographic Image Collection/Alamy.

Cette île, sur laquelle se trouvent des vestiges de maison et des mâts funéraires et commémoratifs sculptés, a été ajoutée à la liste en 1981, en témoignage de la puissante beauté artistique et de la culture du peuple des Haïdas. La décomposition des mâts en cèdre rappelle un débat entre des méthodes de conservation scientifiques modernes et d’autres, plus traditionnelles. Alors qu’il est possible de freiner la décomposition du bois en recourant à des procédés chimiques modernes, les Haïdas ont adopté une approche traditionnelle qui consiste à stabiliser certains mâts et à retirer certaines plantes, afin de prolonger la période précédant le retour naturel des mâts à la terre. Le Haida Gwaii Watchmen Program, administré par le conseil de bande de la nation haïda, guide les visiteurs, tout en assurant la responsabilité et la continuité de la culture des Haïdas sur la terre et l’océan.

En lien avec l’évolution de la notion de vastes paysages et l’approche holistique des liens entre culture et nature, le site de SGang Gwaay s’inscrit aujourd’hui dans un discours plus général. Le Canada propose une désignation élargie des vastes terres des Gwaii Haanas qui inclurait la petite île, ses vestiges de maison et ses mâts funéraires et commémoratifs sculptés. Cette nouvelle proposition comprend aussi la réserve de parc national, la réserve d’aire marine nationale de conservation et le site du patrimoine haïda. Ce site inclurait d’autres vestiges de villages, plusieurs artéfacts, ainsi qu’un écosystème complexe et florissant constitué de forêts pluviales, de montagnes, de lacs, de mers et de diverses espèces qui évoquent la culture vivante du peuple haïda.

 

Des défis

Cinquante ans après l’adoption de la Convention, le logo du patrimoine mondial est associé à plusieurs destinations de voyage, bien que, curieusement, les premiers registres du patrimoine mondial mentionnent rarement le tourisme comme faisant partie de ses objectifs ou de ses effets. L’industrie du tourisme s’est emparée de ces lieux particuliers, en faisant la promotion des sites inscrits sur la Liste et en créant des itinéraires axés sur le patrimoine mondial. Avant que la pandémie de la COVID-19 ne freine les voyages, le tourisme de masse menaçait plusieurs sites du patrimoine mondial. Avec 1,4 milliard de vols internationaux en 2019, le tourisme excessif a contribué à endommager les sites; les foules de touristes ont aussi nui à l’expérience des visiteurs en plus de déranger les habitants. Venise, par exemple, qui ne compte que 55 000 habitants dans son centre historique, a vu 22 millions de visiteurs arriver par voie terrestre ou aérienne en 2019.

Parmi les sites canadiens qui sont affectés par le tourisme excessif, on compte l’arrondissement historique du Vieux-Québec, classé au patrimoine mondial. Avant la pandémie de la COVID-19, le site attirait environ 5 millions de visiteurs par année. La municipalité s’est montrée proactive en prenant des mesures pour gérer le tourisme, ce qui est tout à son honneur : elle a consulté des parties prenantes de la communauté et élaboré un plan d’action pour permettre à 500 nouveaux résidents permanents de s’installer dans l’arrondissement à la suite d’améliorations apportées en matière de logement, d’offre commerciale et d’autres services. Par ailleurs, la Ville a redirigé à l’extérieur de l’arrondissement historique les autobus servant aux voyages organisés; elle a aussi amélioré son mobilier urbain et les services à l’intention des visiteurs, bien qu’il soit parfois difficile de répondre au déferlement de touristes lorsque des bateaux de croisière arrivent dans le port.

Un autre défi de taille est celui de la crise climatique. Les changements climatiques sont désormais l’une des plus grandes menaces pour les sites du patrimoine mondial. Les phénomènes climatiques violents, la montée du niveau des eaux et la migration des espèces, entre autres effets, minent la contribution possible des sites à l’économie locale et au développement social. La superficie de certains sites diminue, avant qu’ils ne disparaissent complètement sous le niveau de la mer. Les politiques du Comité du patrimoine mondial, qui remontent à 2007, sont obsolètes, ce qui ne permet pas d’identifier et d’atténuer les risques associés aux changements climatiques. Le Comité s’efforce de mettre à jour ses politiques afin qu’elles soient en phase avec l’Accord de Paris et les Objectifs de développement durable des Nations Unies, établis en 2015.

Les sites du patrimoine mondial au Canada ne sont pas à l’abri des effets des changements climatiques. Yukon Ice Patches (lien en anglais seulement), maintenant sur la liste d’attente du Canada à l’UNESCO , en est un exemple saisissant. Découvert en 1997 sur le territoire traditionnel de la Première Nation Carcross/Tagish, le site présente de rares et fragiles outils échappés par des chasseurs autochtones alors qu’ils chassaient le caribou il y a de cela 7 500 ans et moins. Des éléments qui peuvent se décomposer, comme le bois, la babiche et les plumes, nous offrent une nouvelle compréhension de la culture matérielle des peuples autochtones nordiques, des changements technologiques à travers le temps, ainsi que de leurs réussites. Un équilibre délicat entre accumulation de neige en hiver et fonte en été caractérise les Yukon Ice Patches. Malgré le réchauffement de la planète, la neige tombe encore sur ces sites, créant des parcelles occupées par les caribous et les moutons pendant l’été. Advenant une diminution importante des plaques de glace persistantes ou leur disparition, les défenseurs du site affirment que ces lieux et les artéfacts qui s’y trouvent continueront de symboliser une tradition de chasse ancienne remarquable qui est parvenue jusqu’à nous grâce à la tradition orale.

Yukon Ice Patches (Yukon). Photo: © CBC, John Meikle.

 

Conclusion

Tout d’abord un traité entre États-nations, la Convention du patrimoine mondial cherche maintenant à rejoindre bien plus que des gouvernements pour inciter tout un chacun à prendre part à la protection et à la conservation d’innombrables sites. N’ayant qu’une petite influence sur le processus décisionnel du Comité du patrimoine mondial, des groupes externes joignent leurs forces pour se prononcer.

Après que le Comité ait rejeté, à la fin des années 1990, une proposition visant à créer un Conseil d’experts des peuples autochtones du patrimoine mondial, des autochtones à travers le monde se sont réunis pour créer leur propre organisation en 2017. Le International Indigenous Peoples’ Forum on World Heritage (IIPFWH) (lien en anglais seulement) est un organisme permanent mondial qui cherche à engager le dialogue avec le Comité du patrimoine mondial lors de ses rencontres, afin de représenter la voix des peuples autochtones et soutenir leur intendance.

Une nouvelle organisation indépendante, OurWorldHeritage (OWH) (lien en anglais seulement), a pris forme pendant le confinement dû à la pandémie de la COVID-19. Son objectif est de favoriser la participation de la société civile à la protection du patrimoine mondial en organisant des débats publics qui stimulent le dialogue et favorisent les apprentissages entre les organismes communautaires, la société civile, les universitaires et les parties prenantes. Au cours de sa première année, OWH a organisé le #2021debate, qui regroupe 134 webinaires organisés par plus de 600 conférenciers issus de toutes les régions de la planète. Les webinaires sont disponibles sur le site Web de l’organisation. En novembre 2022, OWH organisera un forum international à Florence pour souligner le 50e anniversaire de la Convention du patrimoine mondial.

Quant aux 50 prochaines années, des défis liés à des menaces que nous connaissons perdureront certainement, qu’ils soient associés aux conflits, aux désastres, au tourisme excessif ou à la crise climatique. De nouvelles menaces apparaîtront qui nous sont encore inconnues. Étant donné que la conservation des lieux patrimoniaux est assurée surtout à l’échelle locale, on peut s’attendre à voir croître le nombre de bénévoles, de citoyens, de groupes spéciaux et d’organisations de la société civile qui tenteront de relever ces défis pour protéger les lieux culturels et naturels qui constituent les trésors du monde.