Honorer la vérité : l’héritage physique des pensionnats indiens du Canada

L’année 2017 s’annonce exceptionnelle, avec les célébrations nationales qui animeront le Canada à l’occasion du 150e anniversaire de la Confédération.

Nous nous réjouissons déjà de voir les feux d’artifice et de participer aux festivités, mais la publication du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada (CVR), en décembre 2015, était un événement tout aussi marquant pour la nation. Ce texte dévastateur devrait faire quelque peu contrepoids aux joyeuses manifestations de patriotisme qui se multiplieront cette année. Il montre que le projet d’un pays équitable assumant franchement son passé reste inachevé.

Le rapport de la CVR est le fruit de sept ans de travail et de l’examen de 7 000 témoignages et de 5 millions de documents provenant d’archives ecclésiastiques et ministérielles. Il relate le triste héritage des pensionnats indiens du Canada relevant du programme financé par le gouvernement fédéral et géré par l’église qui, des années 1870 jusqu’en 1996, visait à assimiler les Autochtones. Les expériences vécues dans ces écoles ont marqué des générations successives de survivants, les membres de leur famille et leurs communautés, laissant un héritage intergénérationnel de traumatismes et creusant un fossé entre les Autochtones et les autres Canadiens. La lecture du rapport de la CVR n’est pas aisée, mais elle est vitale pour nous tous, surtout en cette année anniversaire.

« Connaître la vérité a été difficile, disent les commissaires dans la préface, mais se réconcilier le sera encore davantage. Pour ce faire, il faut rejeter les fondements paternalistes et racistes du système des pensionnats qui sont à la base de la relation. La réconciliation nécessite l’élaboration d’une nouvelle vision fondée sur le respect mutuel. Il faut également comprendre que les conséquences les plus dommageables des pensionnats ont été la perte de fierté et de dignité des peuples autochtones et le manque de respect que les nonAutochtones ont appris dès l’enfance à avoir à l’égard de leurs voisins autochtones. La réconciliation n’est pas un problème autochtone, c’est un problème canadien. Tous les aspects de la société canadienne pourraient devoir être réexaminés. »

Vu tout le travail que nous avons tous à accomplir, quel rôle le milieu de la conservation du patrimoine peut-il jouer dans le cheminement vers la réconciliation? De fait, les 94 appels à l’action lancés par la CVR touchent tous les secteurs de la société, y compris les organismes voués au patrimoine. Ceux-ci sont appelés à coopérer avec les organisations des survivants et des Autochtones pour commémorer l’histoire et l’héritage des pensionnats. En octobre dernier à Hamilton, lors de la Conférence de la Fiducie nationale du Canada, Ry Moran, directeur du Centre national pour la vérité et la réconciliation, a insisté sur l’importance du tissu physique des pensionnats subsistants. Sur les 139 qui ont été construits partout au pays, a-t-il dit, on estime qu’il n’en reste que 17. Certains ont été affectés à de nouvelles vocations – dont plusieurs comme centres d’éducation autochtones. D’autres ont été abandonnés et vandalisés. Près de Cardston (Alberta), l’ancien Pensionnat St. Mary, devenu Collège communautaire Red Crow, a été détruit par un incendie criminel en août 2015.

Selon Ry Moran, les propriétés des anciens pensionnats sont des sites de conscience qui témoignent d’un héritage difficile et tragique. Comme les déclarations des survivants et les documents d’archives, ils revêtent une importance vitale à titre de dépositaires de la vérité, garantissant que la société n’oublie jamais. « Ces lieux représentent une histoire essentielle dont nous devons tous nous souvenir au pays, dit encore Ry Moran. Le moment est tout indiqué pour que le gouvernement fédéral envisage de désigner certains pensionnats comme des lieux de conscience. Les décisions en la matière devront être prises en étroite collaboration avec la communauté autochtone, et de nombreuses collectivités n’attendent qu’à entamer un dialogue. »

Aussitôt après avoir rencontré Natalie Bull, directrice générale de la Fiducie nationale du Canada, Ry Moran a aussi mis la Fiducie nationale au défi de réfléchir à son rôle dans la préservation de ces lieux. « Il s’agit pour nous d’une discussion importante », dit Mme Bull, qui a conclu en 2016 un protocole d’entente avec le Cercle du patrimoine autochtone, alors à ses débuts. Elle est soutenue par un conseil d’administration fermement décidé à jouer un rôle dans la réconciliation.

En octobre 2016, le conseil d’administration a adopté une résolution souscrivant aux 10 principes de la réconciliation – non seulement pour signifier son appui, mais aussi pour que ’action de l’organisme devienne constamment plus pertinente pour les lieux qui importent aux Premières Nations, aux Inuits et aux Métis. Lorna Crowshoe, membre de la Première Nation des Piikani, dans le sud de l’Alberta, et membre du conseil d’administration de la Fiducie nationale depuis 2015, aide l’organisation dans sa réflexion et la recherche de son orientation. « Les collectivités autochtones sont habituellement considérées sous l’angle des besoins, dit-elle. Au lieu, nous devons considérer les Autochtones, leurs sites, leur culture et leur langue sous l’angle des atouts. Il faut un changement dans la façon dont les Canadiens perçoivent les Autochtones. La Fiducie nationale peut y aider en se penchant sur les contributions des communautés autochtones au Canada et aux lieux du patrimoine. »

 

Photo : Archives du Centre national pour la vérité et la réconciliation, collection Vanda Fleury-Green.