Espérer et prier pour les lieux de culte

Transcription de l’allocution prononcée par Natalie Bull à la conférence Walrus Talks Spirituality, présentée par les magazines The Walrus et United Church Observer.

https://www.youtube.com/watch?v=KBG_njN_niU

Bonsoir. Je m’appelle Natalie Bull. Je suis la directrice générale de la Fiducie nationale du Canada. La Fiducie nationale est un organisme de bienfaisance. Elle travaille avec les collectivités pour sauver des lieux qui importent. L’« esprit du lieu » est un sujet dont nous discutons souvent. Je dirais que « l’esprit du lieu » est au premier plan dans l’architecture sacrée et les lieux de culte, qu’il s’agisse de magnifiques édifices néoromans comme celui-ci, de mosquées, de synagogues ou de ces petites églises blanches que je connais bien parce que j’ai grandi dans la « ceinture biblique » du Nouveau-Brunswick. Le plus souvent, l’architecture sacrée vise expressément à exprimer le spirituel dans le matériel. Parfois, la forme même d’un immeuble est une métaphore représentant expressément la spiritualité, visant à émouvoir, à inspirer et à émerveiller. Même si vous ne franchissez jamais leur porte, je parierais que vous considérez les lieux de culte de votre quartier comme d’importants édifices culturels, sociaux et même spirituels. Pourtant, des milliers de ces immeubles sont condamnés. La société évolue. Les congrégations sont vieillissantes, les quêtes sont de moins en moins fructueuses, et des idées différentes se propagent au sujet de la spiritualité et de la pratique religieuse.

Il est bien compréhensible que dans les centres urbains, de minuscules congrégations possédant d’immenses propriétés soient tentées par le potentiel de la mise en valeur immobilière. À Ottawa, on dit que la synagogue Beth Shalom perdait 200 000 $ par année quand l’immeuble a finalement été vendu à un promoteur pour 15 millions de dollars. À Toronto, les églises baptiste Willoughby et anglicane St. Jude ont été démolies pour faire place à des condos. L’église presbytérienne Riverdale et l’église pentecôtiste Howard Park ont été transformées en appartements. Non loin, l’église unie Deer Park deviendra une espèce de vestige préservé, entourée de condos. De nombreux autres immeubles ont été perdus ou transformés, ou risquent de l’être.

Le Québec a annoncé la couleur, devançant largement le reste du Canada avec sa vaste collection d’immeubles religieux devenus excédentaires. Reconnaissant l’importance de ces édifices symboliques, la province a déjà investi presque 300 millions de dollars, que ce soit pour refaire des toits, sauver des vitraux ou préserver des orgues. Pourtant, les fermetures et les transformations s’enchaînent à un rythme alarmant.

Le tsunami ne fera que prendre de l’ampleur. Les groupes religieux sont les deuxièmes plus grands propriétaires fonciers au Canada, devancés seulement par le gouvernement du Canada. Ils possèdent peut-être plus de 27 000 immeubles, et on prévoit qu’au moins 30 % d’entre eux pourraient être sacrifiés dans les quelques années à venir. Voilà pourquoi les défenseurs du patrimoine placent les lieux de culte au premier plan sur leur liste d’espèces menacées.

Mais est-ce que ceci nous regarde? Je me suis déjà fait dire que les défenseurs du patrimoine n’ont pas à se mêler de cette crise. Que le souci de sauver une église est une forme d’idolâtrie. Que l’église, c’est réellement les croyants, et non le bâtiment.

On peut l’admettre en théorie, mais la détresse qu’on voit sur le terrain reflète une autre réalité. J’en donnerai deux exemples. À Terre-Neuve, les paroissiens qui réclamaient une désignation patrimoniale pour protéger l’historique église St. Philip, dite « Church By the Sea », ont découvert un bon matin que le clocher avait été démonté et emporté sous le couvert de la nuit. Après une longue et amère partie de bras de fer avec les responsables ecclésiastiques, ils ont finalement perdu le reste de l’église. Dans la localité de Victoria Mines, au Cap-Breton, les résidents s’emploient envers et contre tout à réunir des fonds pour acheter et réparer leur historique église en pierre, plutôt que de la laisser démolir.

Ces immeubles ne sont pas que des monuments; ils portent des souvenirs de famille et ils enrichissent le vécu spirituel. D’ailleurs, ce n’est pas seulement les fidèles qui y sont attachés. Avec leurs soupes populaires, leurs refuges pour itinérants et leurs locaux pour des organismes caritatifs, les lieux de culte sont souvent des filets de sécurité invisibles et des centres communautaires. Dans les milieux ruraux du Canada, l’église est parfois le seul immeuble communautaire.

En tant que militante en faveur du patrimoine, je vois ce rôle social élargi comme un atout important, même comme un levier de négociation. Je ne suis pas seule. Aux États-Unis, les partisans de la préservation ont déjà mis au point une façon de quantifier la valeur qu’apportent les congrégations et leurs immeubles à la société. Le montant en dollars qu’ils obtiennent – pertinemment appelé « effet de halo » – s’élève couramment à des millions de dollars pour une seule congrégation urbaine. Comme le chiffre aide à mettre les choses en contexte, les congrégations sont d’autant mieux à même de présenter une argumentation probante aux financiers et aux philanthropes.

Ainsi, l’évolution des attitudes envers la spiritualité est peut-être un facteur qui menace les immeubles religieux, mais une nouvelle façon de considérer leur valeur pour l’ensemble de la communauté offre peut-être une voie de salut. Soit dit sans jeu de mots. Le projet Halo, à Toronto, adapte la méthode pour les immeubles au Canada. Déjà, il y en a d’excellents exemples. De fait, nous sommes réunis ici dans un de ces exemples! Je dirais que l’effet de halo est bien vivant ici à l’église unie Trinity-St. Paul qui est tout à la fois un centre pour la foi, la justice et les arts. Son cercle vertueux de viabilité financière et de service à la communauté a profité à un orchestre baroque, une école Montessori, une école des langues du Moyen-Orient et un solide programme d’action sociale, entre autres.

(Applaudissements de l’assistance)

Oui. C’est bien mérité.

Même quand une congrégation choisit de tourner la page, le fait de vendre et transformer une église n’est pas nécessairement un arrêt de mort. L’aménagement en condos ou en gymnase d’escalade est peut-être plus simple à rentabiliser, mais quel bonheur quand un ancien lieu de culte peut continuer d’offrir une forme de spiritualité ancrée dans le service à la communauté. On peut penser, par exemple, à des jardins communautaires, des carrefours alimentaires, des marchés fermiers, des installations servant à la lutte contre la pauvreté ou du logement abordable, avec ou sans identification confessionnelle.

Cette réflexion survient à un moment où le monde de la conservation du patrimoine lui-même reconsidère activement sa finalité et revient à ses racines de mouvement social. Je crois que des groupes voués au patrimoine, comme le mien, peuvent donner un nouveau sens à leur action en aidant la société à prendre conscience de la possibilité que des lieux de culte emblématiques fassent du patrimoine un outil pour renforcer la communauté. La Fiducie nationale a le bonheur de pouvoir compter sur un partenaire tout indiqué dans cette optique, l’organisme La foi et le bien commun. Celui-ci apporte une expertise essentielle au renouveau de la mission et à la durabilité.

Tout cela étant dit, je ne m’imagine pas qu’il sera facile d’inverser la tendance. Il y a tant d’immeubles en cause, et un tel retard dans leur entretien. Dans certains cas, il y aussi un passé complexe et la nécessité de passer par une réconciliation.

Cependant, j’espère que les groupes confessionnels et leurs communautés – nous tous – ferons simplement de notre mieux pour utiliser judicieusement les lieux sacrés que nous avons hérités du passé. Et je prie que partout où c’est possible, nous les utiliserons de façon à créer des communautés résilientes et durables entretenant un puissant « esprit du lieu ».

Merci