DNUDPA et le patrimoine autochtone : voies de mise en œuvre
La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA) a été citée dans le rapport de la Commission de vérité et réconciliation (CVR) en tant que « cadre pour la réconciliation ».
Le Canada (en 2021) et la province de la Colombie-Britannique (en 2019) ont adopté des lois pour mettre en œuvre la DNUDPA, laquelle est désormais applicable à l’interprétation des lois fédérales canadiennes et des lois provinciales de la Colombie-Britannique. Qu’est-ce que cela signifie vraiment? Dans les années à venir, la mise en œuvre de la DNUDPA imposera des discussions et, ultimement, des changements dans la législation, la réglementation et la politique au sein de tous les ordres de gouvernement. Cela entraînera de vastes changements, notamment pour les entreprises et les organisations non gouvernementales. On ne saurait trop insister sur les retombées considérables de la mise en œuvre de la DNUDPA : la société s’en trouvera profondément transformée.
En 2022, le secteur muséal canadien a pris position par rapport à la DNUDPA et à l’appel à l’action no 67 de la CVR en publiant un rapport et un plan d’action de grande ampleur, Portés à l’action : Appliquer la DNUDPA dans les musées canadiens. Les personnes autrices de ce rapport écrivent : « Nous espérons que ce rapport, ces recommandations et ces principes mettront l’accent sur l’expérience autochtone dans les musées afin de faire comprendre en quoi les personnes colonisatrices peuvent aider à démanteler les composantes muséales qui continuent à perpétuer les préjudices coloniaux » (4). Le secteur canadien de la conservation du patrimoine a lui aussi beaucoup de travail à faire pour adhérer à l’esprit et aux défis fondamentaux posés par la DNUDPA, et s’en servir comme outil d’autoexamen et de véritable changement.
Ci-après figure le résumé d’une séance de conférence dirigée par le Cercle du patrimoine autochtone lors de la conférence 2022 de la Fiducie nationale (organisée conjointement avec le Cercle du patrimoine autochtone et l’Association canadienne d’experts-conseils en patrimoine) à Toronto en octobre 2022. Cette séance portait sur l’élaboration de stratégies de mise en œuvre de la DNUDPA dans le secteur de la conservation du patrimoine. Le Cercle du patrimoine autochtone (CPA) a été fondé en 2016. Créé et dirigé par des Autochtones, cet organisme se consacre à faire avancer les priorités en matière de patrimoine culturel qui sont importantes pour les Métis, les Inuits et les Premières Nations au Canada.
Dans le cadre de l’organisation conjointe de la conférence de la Fiducie nationale à Toronto, le Cercle du patrimoine autochtone a tenu trois tables rondes ainsi que d’autres réunions. La première table ronde, qui s’est déroulée le vendredi 21 octobre, avait pour thème « Le patrimoine autochtone et la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA) ». Les panélistes de la séance étaient les suivant.e.s : Catherine Bell, professeure émérite de droit à l’Université de l’Alberta et titulaire de la chaire Ariel F. Sallows en droits de la personne de 2020 à 2023 au Collège de droit de l’Université de la Saskatchewan; Catherine C. Cole, consultante et historienne métisse travaillant à l’échelle nationale et internationale; et Julie Harris, membre fondatrice du CPA et membre professionnelle de l’Association canadienne d’experts-conseils en patrimoine, dotée d’une riche expérience de travail pour les organisations des Premières Nations et des Inuits en tant qu’historienne et spécialiste du patrimoine. Heather George, qui présidait la séance, est une universitaire d’origine eurocanadienne et kanien’kehá:ka (mohawk). Elle est conservatrice invitée au Centre culturel Woodland, conservatrice des histoires autochtones au Musée canadien de l’histoire, présidente de l’Association des musées canadiens et candidate au doctorat.
La séance consacrée au patrimoine autochtone et à la DNUDPA a été organisée par le CPA afin de permettre aux personnes participant à la conférence de bien comprendre la DNUDPA et d’explorer comment les pratiques actuelles en matière de patrimoine doivent évoluer en vue de la mise en œuvre de la DNUDPA. La séance a été organisée sur la base de l’expertise et des écrits de Catherine Bell sur la DNUDPA et sur une étude entreprise par Catherine C. Cole et Julie Harris pour le CPA, intitulée Le patrimoine autochtone et la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Le rapport de l’étude, qui a reçu le prix des gouverneurs de la Fiducie nationale, est disponible en anglais et en français sur le site https://indigenousheritage.ca/fr/projets/.
Catherine Bell a présenté une analyse concise et compétente de la portée et des principes de la DNUDPA. Elle a mentionné que la DNUDPA portait sur les droits fondamentaux des peuples autochtones et qu’elle avait été intégrée de plusieurs façons dans le droit et les politiques canadiennes, et que le préambule de la DNUDPA et tous ses articles devaient être lus ensemble. Elle a également souligné les aspects de fond et de procédure de la DNUDPA : en plus d’indiquer ce qui est important et pourquoi, elle définit des principes et des processus destinés à encadrer les actions de mise en œuvre. Au cœur de la présentation, on retrouvait un exemple de quatre principes clés de la DNUDPA, à savoir l’égalité et la non-discrimination (1), l’autodétermination (2), la reconnaissance et le respect des lois, coutumes et traditions autochtones (3) et le consentement éclairé (4). La présentation a permis de relier chacun de ces principes aux articles de la DNUDPA.
Julie Harris a abordé la méthodologie de l’étude du CPA. Le CPA a demandé à ce que l’étude repose sur des entretiens avec des personnes autochtones qui travaillent dans leurs communautés ou pour des organisations patrimoniales conventionnelles, telles que des musées et des centres culturels. L’étude exploitera leurs mots, leurs connaissances et leurs idées pour produire un rapport fondé à la fois sur une compréhension de la DNUDPA et sur des expériences vécues. Catherine Bell et Karen Aird ont été les principales conseillères des expert.e.s-conseils. Les expert.e.s-conseils ont cherché à appliquer les principes et les processus de la DNUDPA dans leur travail. L’équipe a souligné l’importance du consentement, a anticipé les divergences d’opinion et de perspectives et a vivement apprécié la contribution des 20 personnes qui ont pris le temps de faire part de leurs connaissances, de leurs frustrations et de leurs espoirs pour l’étude.
Catherine C. Cole a donné un aperçu du rapport en alliant des citations tirées des entretiens à des articles sélectionnés de la DNUDPA. Elle a commencé par présenter la définition du patrimoine autochtone utilisée par le CPA :
Le patrimoine autochtone est complexe et dynamique. Le patrimoine autochtone englobe les idées, les expériences, les biens, les expressions artistiques, les pratiques, le savoir et les lieux qui ont de la valeur en raison de leur signification culturelle et de leur lien avec la mémoire collective. Le patrimoine autochtone ne peut être séparé de l’identité ou de la vie autochtone. Il peut être hérité des ancêtres ou créé par des gens d’aujourd’hui comme legs pour les générations futures.
Les personnes rencontrées ont trouvé cette définition utile parce qu’elle expose et souligne le mode de fonctionnement du patrimoine autochtone, et pas seulement sa nature. Une relation légitime avec la terre était un thème récurrent des entretiens.
L’étude et la présentation comportent des recommandations immédiates et à long terme tirées des entretiens et destinées principalement aux spécialistes du patrimoine conventionnel qui cherchent à harmoniser leur travail avec la DNUDPA. Les recommandations ont été regroupées selon les axes suivants : 1) les juridictions, 2) le renforcement des capacités et 3) la sensibilisation. Voici quelques exemples de recommandations :
- Les réunions des ministres fédéral provinciaux et territoriaux de la Culture et du Patrimoine devraient inclure la Déclaration comme sujet permanent à l’ordre du jour.
- Il convient de passer en revue les dispositions législatives et les politiques relatives au patrimoine et à la culture afin d’y inclure le patrimoine autochtone, tel qu’il est compris par les peuples autochtones, et de s’assurer que les concepts de gestion et de protection sont adaptés aux valeurs, protocoles et méthodes du patrimoine autochtone.
- Il faut également mettre au point un guide de mise en œuvre pour le secteur patrimonial canadien à l’intention des organisations gouvernementales et non gouvernementales, autochtones et non autochtones.
La présentation a également abordé la nécessité de doter la communauté patrimoniale autochtone des capacités nécessaires pour contribuer aux efforts de réconciliation en tant que ressource fiable en matière de leadership et de partenariat. Tant qu’un financement de base ne sera pas disponible pour des organisations comme la CPA, aucune organisation autochtone ne pourra organiser des conversations ou élaborer des stratégies. Si le poids de la prise en compte du patrimoine autochtone ne peut pas reposer uniquement sur les autochtones, il est nécessaire de leur accorder des espaces pour apprendre, enseigner et approfondir les problématiques ensemble, ainsi qu’avec les organisations et institutions conventionnelles qui interagissent avec le patrimoine autochtone, voire qui s’en occupent.
La discussion qui a suivi les présentations a permis de contextualiser, et de donner des idées et des informations sur ce qui avait été présenté. Catherine Bell a évoqué les changements positifs observés depuis ses débuts dans les projets de l’AMC, mais a souligné qu’il existe encore des obstacles qui empêchent les populations autochtones de conserver un contrôle significatif sur leur patrimoine. Elle a évoqué la législation provinciale sur le patrimoine qui n’accorde pas suffisamment d’attention à la consultation des communautés autochtones.
La présidente de séance, Heather George, a demandé aux panélistes d’expliquer comment et pourquoi ils et elles ont commencé à s’intéresser aux enjeux du patrimoine autochtone. Julie a décrit les occasions exceptionnelles qui lui ont été présentées dans le cadre de son travail pour les Inuits à la Commission de la vérité de Qikiqtani et les conseils de la cofondatrice du CPA, Karen Aird, lorsqu’elle a travaillé avec les Premières Nations dans le nord-est de la Colombie-Britannique. Dans ces deux cas, les Autochtones, dont Madeleine Redfern et Karen Aird, ont fait preuve de fermeté lorsqu’elle faisait fausse route, mais l’ont aussi aidée à comprendre et à appliquer leurs connaissances communes. Catherine C. Cole a parlé de son expérience très personnelle d’apprentissage de son patrimoine métis en tapant le premier manuscrit de sa mère lorsqu’elle était enfant (l’historienne du commerce des fourrures Jean Murray Cole) et, après avoir déménagé à Edmonton, en protégeant le lieu de sépulture des membres de sa famille qui y sont morts en 1845, ainsi qu’en apprenant de l’aînée métisse Muriel Stanley Venne. Catherine Bell a parlé des expériences qu’elle a vécues dans son enfance et en tant qu’étudiante en droit à l’Université de la Saskatchewan dans les années 1980. Cette université était alors la seule des trois facultés de droit du Canada à enseigner les droits des Autochtones. Depuis, ses différents parcours l’ont amenée à enseigner le droit autochtone à l’Université de l’Alberta, ainsi qu’à conseiller les Premières Nations dans le domaine du rapatriement.
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Les personnes qui souhaitent visionner la séance de la conférence dans son intégralité peuvent le faire en cliquant ici (en anglais seulement).
Vous trouverez ici un lien vers le rapport complet du CPA (Le patrimoine autochtone et la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones [mai 2022]) en anglais, français, ᓀᐦᐃᔭᐍᐏᐣ nēhiyawēwin (cri des plaines), ᐃᓄᒃᑎᑐᑦ (Inuktut) et Mi’kmawi’simk (langue mi’kmaq).