Des vestiges cachés à découvrir
L’exploration urbaine est parfois mal vue. Les médias l’associent fréquemment aux incursions dans des lieux interdits, aux graffitis et au vandalisme, ce qui contribue à créer un fossé entre les défenseurs habituels de la conservation du patrimoine et les explorateurs urbains.
Jonathan Castellino, photographe et explorateur urbain de Toronto, aide à lutter contre les idées fausses en illustrant que la conservation du patrimoine et l’exploration urbaine sont en effet les deux faces de la même médaille. Ceci fut l’idée sous-jacente de la session qu’il a animé sur l’exploration urbaine lors de la Conférence annuelle de la Fiducie nationale, Le patrimoine prend son élan, à Hamilton (Ontario) en 2016.
« Aucune description exacte de la pratique ne comprend ces utilisations foncièrement destructrices des lieux, dit-il. Bien sûr, il y en a qui se livrent à un semblant d’exploration urbaine uniquement à des fins d’exploitation, mais ils ne doivent pas être considérés comme faisant partie de la communauté de l’exploration urbaine. »
Ce qui n’est pas toujours précisé, c’est la façon unique dont ces passionnés de photographie, d’aventure et d’histoire préservent les immeubles historiques. L’intrusion sur des propriétés privées n’est pas essentielle à l’exploration urbaine, et les fervents explorateurs urbains s’opposent à tout acte qui endommagerait des propriétés. De fait, l’exploration urbaine est considérée comme une activité qui préserve l’histoire d’une façon unique. En un sens, explorateurs urbains et défenseurs conventionnels de la conservation partagent des valeurs de base.
« Nous entretenons une relation avec les lieux, et nous aimons les lieux tels qu’ils sont – avec leur passé et leur avenir, mais surtout tels qu’ils sont aujourd’hui », affirme Jonathan Castellino.
« Nous entretenons une relation avec les lieux, et nous aimons les lieux tels qu’ils sont – avec leur passé et leur avenir, mais surtout tels qu’ils sont aujourd’hui », affirme Jonathan Castellino. Inlassablement curieux, ces historiens rebelles découvrent des structures bâties grâce au bouche-à-oreille, à des recherches ou à des sites Web tels qu’Urban Exploration Resource et Atlas Obscura. Parmi les structures les plus recherchées figurent d’anciens établissements psychiatriques, usines, hôpitaux, élévateurs à grains, écoles, collecteurs d’eau pluviale et tunnels, entre autres. Les explorateurs urbains cherchent à faire de belles photos, à vivre des aventures et à découvrir l’histoire sous un angle qui n’est pas présenté en salle de classe ou dans les livres. Ils apprennent à connaître les lieux historiques d’une façon artistique bien à eux.
Quand des sites abandonnés deviennent très connus et largement indiqués sur Internet, il peut y avoir un afflux de visiteurs assorti d’un cortège de problèmes, comme une augmentation du vandalisme et des dommages. Parfois, des éléments matériels d’un lieu sont volés.
La mine Wallingford-Back, à Mulgrave-et-Derry (Québec) illustre la problématique. Cette ancienne mine semi-naturelle, exploitée à partir de 1924 pour l’extraction de feldspath et de quartz, a été fermée en 1970. Elle est rapidement devenue un trésor naturel et un atout local, apprécié des pagayeurs l’été et des patineurs l’hiver. Mais elle a commencé à attirer de très nombreux visiteurs en 2016, après que les médias l’eurent fait connaître comme une « destination secrète ». Des résidents locaux s’en sont plaints : faute de stationnement, de toilettes ou de poubelles, le site ne convenait pas à l’accueil du public.
L’accès a maintenant été barré par de grands blocs de béton et des clôtures, en réponse au grand nombre de personnes visitant et gâchant le site. La mine, qui figurait au Palmarès 2017 des 10 sites les plus menacés dressé par la Fiducie nationale, est un exemple malheureux où un lieu historique est exploré par trop de personnes à la fois, y compris certaines qui ne respectent pas les règles élémentaires de l’exploration urbaine.
« La plupart des explorateurs ont un code d’éthique personnel s’inspirant du mot d’ordre “ne prendre que des photos, ne laisser que des empreintes de pas” », dit M. Castellino.
La photographie est importante dans l’exploration urbaine. Pour de nombreux adeptes, la motivation principale est de prendre de magnifiques images – que ce soit pour leur satisfaction personnelle ou pour les diffuser sur Instagram. C’est aussi la principale façon dont ils documentent des lieux historiques et les font vivre.
« Une bonne photo ne montre pas seulement à quoi une chose ressemble, mais aussi ce qu’elle fait ressentir, précise M. Castellino. Ainsi, en exploration urbaine, la photo crée un souvenir d’un immeuble. Une photo est aussi un moyen de préserver un état donné à un moment donné. »
Les lieux ne sont pas figés dans le temps. Une structure abandonnée évolue : les matériaux se détériorent, et la nature peut même prendre le dessus, ce qui crée de nouvelles possibilités de photos.
« Le rôle de l’artiste a toujours été d’aller plus loin, de s’aventurer dans l’inconnu, dit encore M. Castellino. Les explorateurs urbains le font très littéralement, révélant un présent caché. »
Un de ses compagnons d’exploration est Tong Lam, professeur d’histoire à l’Université de Toronto. Celui-ci a récemment publié le livre Abandoned Futures: A Journey to the Posthuman World, qui examine notre fascination pour les ruines modernes. Il en retrace l’origine à la fin du 18e siècle et au début du 19e. Selon le Pr Lam, ce qui distingue les ruines modernes des anciennes est qu’elles ne sont pas des structures érodées par l’œuvre du temps, mais des lieux récemment désaffectés – usines, églises, théâtres – qui suscitent une « mélancolie tragique » et évoquent une « mort prématurée ». Pour lui, l’intérêt actuel envers les ruines est « en partie une réaction aux incertitudes créées par la mondialisation, les changements climatiques et les progrès technologiques débridés… nous invitant à réfléchir à des rêves trahis et à des promesses non tenues ».
Bien que le milieu de la conservation du patrimoine ne leur fasse guère de place, on peut soutenir que les explorateurs urbains préservent des immeubles en faisant en sorte qu’ils restent pertinents grâce à une documentation photographique. Ils documentent des lieux qui sont oubliés, dédaignés et abandonnés.