Des églises reçoivent une nouvelle vocation au service d’une population vieillissante
J’ai récemment visité une vieille église patrimoniale à Brampton, en Ontario. Elle dépérissait du fait d’être négligée, inoccupée et privée de soins nécessaires. En la regardant, je ne pouvais m’empêcher de repenser aux commentaires d’une guide touristique française, le printemps dernier, au palais de Versailles de Louis XIV, tout près de Paris. Je lui avais demandé si le palais appartenait aujourd’hui au gouvernement français. Elle m’a regardé avec étonnement : « Mais non, Monsieur, c’est moi qui en suis propriétaire. » Je suppose qu’à mon tour j’ai manifesté de l’étonnement, parce qu’elle a aussitôt ajouté : « Oh, pardon! Je veux dire que c’est la population de France qui en est propriétaire. Le gouvernement ne fait que s’en occuper pour nous. »
La vieille église n’est pas le palais de Versailles, mais elle date du temps où la région a été colonisée, dans les années 1850. Elle est en fait la deuxième structure à être érigée sur le site. Quand la première, un bâtiment à ossature de bois, est devenue trop petite pour la congrégation, elle a été remplacée par l’actuelle église en brique, plus permanente, construite en 1904. À l’époque, il sera noté dans les registres de l’église que la population a fait preuve d’une grande générosité en fournissant les moyens nécessaires à la construction.
L’ancienne communauté fermière a depuis longtemps disparu, mais les fondateurs étaient assurément déterminés à ce que le site soit doté d’un lieu de culte permanent. Aujourd’hui pourtant, l’église était sur le point d’être abandonnée. Comme la guide touristique française, je considérais que ce bien du patrimoine m’appartenait. Je me disais aussi qu’il y avait sûrement une façon d’utiliser la propriété au service de la communauté qui vaudrait mieux que de la laisser démolir.
Malheureusement, ce n’est pas un cas isolé. De nombreuses églises, au Canada et ailleurs, qui ne sont peut-être pas aussi grandioses que le palais de Versailles mais qui n’en sont pas moins d’importants biens du patrimoine, sont en voie d’être abandonnées du fait des changements démographiques qui ont entraîné l’effritement des congrégations. Nombre d’églises ont été réutilisées à des fins non religieuses, ou ont été démolies pour faire place à des condos ou autres projets commerciaux.
Nul besoin de chercher loin pour constater des besoins croissants de logement et de services connexes, dans nos collectivités où des églises inutilisées pourraient servir utilement sans être démolies. Par exemple, Statistique Canada rapportait récemment que nous avons connu la plus forte augmentation des résidents âgés au Canada depuis la Confédération. Le nombre de personnes de plus de 65 ans a augmenté dans des proportions historiques : plus 20 % depuis 2011. Et ce n’est qu’un début. D’ici 2031, Statistique Canada prévoit que 23 % de tous les Canadiens seront des aînés. Ces chiffres sont incontournables, et il faut en retenir qu’ils annoncent des besoins croissants pour cet important segment de notre communauté.
La localité de Farragut, une banlieue de Knoxville (Tennessee), a choisi une façon intéresante d’aborder cette problématique. J’étais à Farragut récemment et j’y ai rencontré David Smoak, l’administrateur municipal grâce à qui une grande église vacante a été transformée à bon escient pour une nouvelle vocation.
L’église luthérienne de Farragut avait quitté son immeuble de 35 000 pieds carrés sur 5 acres en favour de lieux plus vastes, en raison de l’accroissement de la congrégation. La propriété a été mise en vente il y a quatre ans. M. Smoak a perçu la possibilité réelle de réutiliser l’ancienne église d’une façon qui servirait bien la communauté. Il savait que la municipalité cherchait un site pour un centre communautaire. Il a donc consulté toutes les parties, y compris l’église et l’administration du comté, pour que toutes s’entendent sur l’achat et la vente de la propriété et participent au project de la transformer en centre communautaire et centre pour les aînés, au service de tous les citoyens de la localité et du comté. Le journal local y a vu une solution « gagnant-gagnant pour tous ».
Le médecin gériatre William H. Thomas, spécialiste international en soins pour les aînés, a repensé les maisons de retraite et de soins infirmiers en partant d’une feuille blanche. Son but : personnaliser le soin des aînés en donnant aux résidents davantage d’intimité et d’autonomie. J’ai eu la possibilité de visiter une de ses résidences, et j’ai tout de suite vu que de nombreuses églises inutilisées pourraient être adaptées et réutilisées dans l’optique de ses théories, tout en continuant de desservir des congrégations en baisse. Voilà qui me semblait annoncer une autre situation gagnant-gagnant.
Des sondages ont révélé que de nombreux aînés souhaitent rester dans leur maison aussi longtemps que possible. Évidemment, pour diverses raisons physiques et médicales, ce n’est pas toujours possible. Même pour ceux qui peuvent le faire toutefois, il y a de nombreux risques à vivre seul. Certains ressentent un isolement parce que leur réseau social s’est réduit, parce qu’ils participent moins à des activités en société, parce qu’ils vivent des deuils ou une absence de compagnie. Ils peuvent alors se sentir abandonnés et esseulés. La recherche indique un lien marqué entre solitude et problèmes de santé, y compris affaiblissement des fonctions immunitaires, dépression et déclin cognitif.
Le Dr Thomas croit que de nombreuses personnes considèrent les foyers de retraite comme des lieux tristes, où les résidents se sentent souvent perdus dans un environnement régimenté. Au lieu d’un cadre institutionnel, il suggère de créer une atmosphère plus familière, avec des unités de logement partagées pour ceux qui ont les aptitudes physiques et cognitives voulues. Il résume sa vision comme suit : « Les
personnes âgées s’épanouiront dans une résidence où on vit comme dans sa propre maison. Le secret consiste à donner aux résidents un cadre plus privé et davantage de contrôle sur leur vie. »
Les églises confrontées à la possibilité d’une fermeture peuvent aisément servir à cette fin, si leur espace intérieur peut être subdivisé en chambres à coucher-salons individuels avec salle de bain privée, avec une cuisine commune et une salle commune. L’église resterait la propriété de l’organisation ecclésiastique, qui trouverait dans la location des unités la source des revenus nécessaires à l’entretien, aux réparations et à l’administration.
Un aspect important de cette transformation serait de réserver une partie de l’église pour une chapelle. Celle-ci servirait aux membres subsistants de la congrégation, et on y conserverait des vestiges importants de l’église tels que plaques commémoratives, bancs ou vitraux ainsi qu’un bref historique de la contribution de l’ancienne église à la communauté. En outre, dans ce monde des communications en perpétuelle effervescence, on peut très bien imaginer que la chapelle soit dotée d’un dispositif vidéo présentant le sermon d’autres églises de la région, voire de grandes églises lors d’occasions spéciales. (Un plan conceptuel de réaménagement d’une petite église est présenté ci-dessous.)
Les organisations religieuses pourraient ainsi préserver une présence dans la communauté, et seraient responsables de l’administration de la propriété. Les caractéristiques démographiques d’un quartier évoluent constamment. Même si la fréquentation d’une église donnée est en baisse aujourd’hui, il arrive que les choses changent et que les tendances s’inversent. Cela étant, à long terme, la décision de vendre une église peut s’avérer prématurée car il peut être coûteux de retrouver une place dans la communauté.
Les églises sont des propriétés particulières. Elles ne sont pas des immeubles ordinaires. Elles ont été construites par et pour la population, pour répondre aux besoins religieux d’une communauté. Cependant, si la situation a évolué et qu’elles ne sont plus nécessaires pour leur vocation d’origine, leurs grands espaces intérieurs font qu’elles se prêtent bien à une réutilisation comme centres de soins pour aînés. À ce titre, elles peuvent encore jouer un rôle vital dans la communauté, fournissant un milieu de vie partagé pour des aînés tout en continuant d’accueillir les pratiquants.