De la sensibilisation à l’action : une approche innovante pour sauvegarder un symbole acadien bien-aimé

« Nous essayons de sauver un emblème. Nous essayons de sauver un bâtiment patrimonial qui a de la valeur à l’échelle nationale et internationale »,

dit Stéphanie St-Pierre à propos de la campagne de préservation qu’elle-même et Gabrielle Bardall ont lancée en décembre 2024 pour sauver l’Église Sainte-Marie de la démolition.

Église Sainte-Marie, Church Point, Nouvelle-Écosse. Photo par: Tourisme Nouvelle-Écosse.

Située à Church Point en Nouvelle-Écosse, l’Église Sainte-Marie est la plus grande église en bois d’Amérique du Nord. Bâtie entre 1903 et 1905 par 1500 bénévoles acadiens, il s’agit de la dernière église acadienne encore existante à avoir été construite après le retour de ce groupe en Nouvelle-Écosse à la suite de leur expulsion en 1755. Pour plusieurs membres de la collectivité, Sainte-Marie demeure un important symbole de la résilience et de l’ingéniosité acadiennes, tout comme un monument chéri qui fait partie du patrimoine local.

En novembre 2024, après une série d’efforts de la communauté pour restaurer l’église (fermée en 2019 pour des raisons de sécurité), l’archidiocèse de Halifax-Yarmouth a publié une DP en vue de la démolition complète du bâtiment patrimonial. Ces travaux devaient être exécutés au printemps 2025.

Lorsque Stéphanie et Gabrielle ont eu vent du plan de démolition de l’église, elles ont compris qu’elles devaient agir rapidement. Des efforts déployés antérieurement avaient misé sur des levées de fonds; cependant, il n’y avait pas de stratégie claire pour obtenir un soutien provincial ou fédéral ou encore, une reconnaissance de la valeur patrimoniale du bâtiment. Stéphanie et Gabrielle ont cherché à concevoir une approche qui permette précisément d’atteindre cet objectif.

Église Sainte-Marie, Church Point, Nouvelle-Écosse. Photo par: Tourisme Nouvelle-Écosse.

Deux semaines après l’annonce, Stéphanie et Gabrielle avaient rassemblé un groupe de bénévoles et avaient commencé à attirer l’attention d’organisations patrimoniales nationales et internationales. En janvier 2025, elles ont incorporé l’Association Sainte-Marie Héritage et Développement pour soutenir leur approche novatrice et viable en faveur de la préservation du précieux emblème acadien.

Privilégiant la transparence et l’engagement communautaire, et puisant dans leurs compétences complémentaires, elles ont accueilli dans leur nouvelle association des gens avec des bagages différents. «Beaucoup de membres de la collectivité souhaitaient ardemment préserver et sauver le bâtiment, mais ne savaient pas vraiment comment s’y prendre», rapporte Gabrielle. «S’unir et partager nos expériences et nos expertises a rendu cela possible.»

Stéphanie et Gabrielle sont toutes deux professeures à l’Université Sainte-Anne, la seule université francophone de Nouvelle-Écosse, fortement liée à la communauté acadienne. En plus de leur passion pour la préservation patrimoniale, leur formation s’est avérée d’une valeur inestimable pour le projet.

Stéphanie détient un doctorat en histoire de l’Université de Montréal (2020), ainsi qu’une maitrise (2006) et un baccalauréat (2004) de l’Université Laurentienne à Sudbury en Ontario. Ses recherches portent sur l’histoire intellectuelle et la construction identitaire dans les groupes minoritaires (en particulier les minorités francophones); elle s’intéresse à la façon dont les récits historiques façonnent le sentiment d’appartenance. Originaire d’une petite communauté d’expression française dans le nord de l’Ontario, ses recherches font écho à son expérience personnelle.

Pour sa part, Gabrielle a obtenu un diplôme de doctorat en sciences politiques de l’Université de Montréal en 2016, une maitrise de Sciences Po Paris (2004) et un baccalauréat de l’Université McGill (2002). Sa spécialisation se rapporte aux organisations internationales et au développement politique dans les pays ravagés par la guerre. Née aux États-Unis, Gabrielle a emménagé en Nouvelle-Écosse en 2020 pour travailler à l’Université Sainte-Anne. En pensant au projet, elle mentionne : «Sainte-Marie était un lieu tellement extraordinaire. J’ai visité 65 pays; j’ai vu beaucoup d’endroits super. Sainte-Marie ressortait du lot : c’était exceptionnel — et en très mauvais état.»

Stéphanie et Gabrielle expliquent qu’elles se sont efforcées de sensibiliser davantage les gens à la valeur patrimoniale de l’église dans l’espoir d’obtenir ensuite du soutien au niveau provincial, fédéral et international. Leurs efforts ont déjà été fructueux : ICOMOS a émis une «Alerte patrimoine» le 15 mai. Comme le rapporte Stéphanie, «nous comptons contacter des responsables politiques au cours des prochaines semaines pour donner suite aux recommandations d’ICOMOS» — des actions rendues possibles grâce à l’expertise de Gabrielle.

Intérieur de l’Église Sainte-Marie. Photo par: André Valotaire.

La vitesse à laquelle leur travail a porté des fruits depuis le début de 2025 est spectaculaire. Lorsqu’elles ont démarré l’Association Sainte-Marie Héritage et Développement en janvier 2025, elles organisaient des rencontres hebdomadaires chez Stéphanie. Le 1er juin aura lieu la première réunion publique à grande échelle : les plans pour une réutilisation adaptative de l’église y seront alors présentés, et la communauté sera informée de l’état actuel du projet. Les médias sociaux ont permis de garder au fait la collectivité tout au long du processus.

Vu l’importance de leur engagement personnel dans le projet, Stéphanie remarque qu’elle et Gabrielle y ont investi beaucoup de temps. Toutes deux jugent crucial de faire ce travail : «Gabrielle et moi sommes toutes deux mères. Nous sommes des professionnelles. Nous sommes toutes les deux à un moment de notre carrière où les demandes sont nombreuses. Nous avons entrepris ce projet, parce que nous y croyons vraiment. C’est un acte d’amour. Et je crois que beaucoup de gens sont profondément passionnés par les bâtiments patrimoniaux. Nous le sommes toutes les deux. […] Je ne peux pas imaginer que l’Église Sainte-Marie ne soit plus là; ça n’a aucun sens. Et pour mes enfants qui ont grandi ici, c’est la même chose. Quand on parle aux jeunes, ils disent que c’est la silhouette du village; c’est notre emblème.»

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Gabrielle Bardall
Stephanie St. Pierre

À gauche: Gabrielle Bardall (Photo par: Kate Haake). À droite: Stéphanie St. Pierre (Photo par: Vanessa Wilson).