Carly Farmer: Intégrer le patrimoine dans la lutte contre les changements climatiques
En 2012, Carly Farmer (alors étudiante de troisième année en architecture à l’Université Carleton) s’est intéressée à la conservation patrimoniale après avoir lu un article de journal. L’article, intitulé “Lindsay’s Old Mill: A Treasure to be Restored, or Ruin to Be Demolished?” (« Le Vieux Moulin de Lindsay : un trésor à restaurer ou des ruines à démolir? »), annonçait que l’un de ses lieux préférés dans sa ville natale risquait d’être démoli. À la suite d’un incendie en 1978, les ruines du moulin de pierre (bâti autour de 1869) ont été préservées. Cependant, elles présentaient des risques pour la sécurité publique et impliquaient des dépenses municipales importantes. Mme Farmer s’est jointe au groupe de travail de Lindsay (« Old Mill Task Force ») qui avait pris forme pour développer une vision de réutilisation adaptée du site; elle n’a jamais arrêté depuis. « À l’école secondaire, je me suis toujours intéressée au développement durable », explique Mme Farmer, « mais je ne me suis jamais beaucoup intéressée à l’histoire. C’est la menace qui pesait sur le Old Mill qui m’a plongée dans ce domaine. » Son projet de maîtrise en architecture à l’Université Carleton portait sur les manières grâce auxquelles les villes rurales d’Ontario (p. ex., Smiths Falls) pouvaient devenir plus résilientes en réutilisant de manière créative le riche héritage associé à leurs bâtiments industriels patrimoniaux.
Aujourd’hui, Mme Farmer est architecte stagiaire à TRACE architectures à Ottawa; elle y travaille depuis 2015. Cette place lui convient parfaitement : depuis 15 ans, la firme (cofondée par Mark Thompson Brandt) est un chef de file canadien dans le domaine de l’exploration et de l’opérationnalisation du lien entre conservation patrimoniale, développement durable et lutte contre les changements climatiques. Mme Farmer a aussi joué un rôle clé comme bénévole pour l’Association for Preservation Technology dans le cadre du développement du projet OSCAR de son comité technique de préservation durable (le Online Sustainable Conservation Assistance Resource, ou Ressource d’aide en ligne pour la conservation durable); cet outil a pour but d’améliorer la performance durable des bâtiments patrimoniaux tout en misant sur leur caractère historique, leurs valeurs et leurs matériaux.
À Ottawa, lors de la Conférence 2023 de la Fiducie nationale (organisée conjointement avec l’Association canadienne d’experts-conseils en patrimoine et le Cercle du patrimoine autochtone), Mme Farmer a présenté comment TRACE exploite des données qui mettent en lumière certains points faibles de la logique du gouvernement fédéral en matière de lutte contre les changements climatiques. La décision du gouvernement de démolir et de remplacer l’imposant pont Alexandra (construit entre 1898 et 1900), une pièce maîtresse historique de la ville d’Ottawa, se fonde précisément sur ces failles.
Composé d’environ 10 445 tonnes de béton et de 3 809 tonnes d’acier, les matériaux du pont Alexandra représentent approximativement 14 000 tonnes d’émission intrinsèque; cela équivaut au CO2 produit par la combustion de 6 020 000 litres d’essence. « Ces nombres énormes et abstraits deviennent concrets », a déclaré Mme Farmer lors de la conférence, « lorsque l’on pense que l’Université d’Ottawa située tout près propose d’installer 21 000 panneaux solaires sur les édifices du campus pour éviter l’éventuelle production de 14 000 tonnes de CO2 sur 25 ans ». Comme l’a déclaré Mme Farmer, démolir et remplacer le pont Alexandra annulera tout effort de réduction des émissions de carbone rendue possible grâce au projet des panneaux solaires.
Le marché du crédit de carbone actuel est inefficace et doit être modifié, affirme Mme Farmer : « Pourquoi le projet de réhabilitation du pont Alexandra ne pourrait-il pas être un projet de compensation carbone? ». On en retirerait plusieurs bénéfices, comme limiter l’émission intrinsèque d’une structure patrimoniale, ainsi que minimiser l’extraction de ressources naturelles et la création de déchets.
Selon Mme Farmer, il s’agit de délaisser une mentalité ancrée dans la culture occidentale du gaspillage et d’adopter une autre vision. « Les gens ne pensent pas vraiment au gaspillage quand il est question de bâtiments et d’infrastructures. Accordez-vous de la valeur et êtes-vous reconnaissants pour ce que vous avez? C’est facile de trouver quelqu’un prêt à financer quelque chose de tout nouveau, tout beau, mais qui est prêt à financer la conservation? »