L’architecture autochtone au Canada : au service de la réconciliation

L’architecture peut apporter une contribution positive au changement social. Il est donc dommage qu’aucune mention explicite du rôle potentiel de l’architecture ne figure dans les récents « appels à l’action » de la Commission de vérité et de réconciliation.

Les musées, les éducateurs et les médias sont tous incités à prendre des mesures précises, mais l’architecture brille par son absence. Il n’y en a pas moins au Canada une vague d’intérêt pour une architecture qui est plus sensible aux Autochtones, tant pour les lieux existants que pour les nouveaux immeubles. Certains appellent ce phénomène « autochtonisation » des lieux, mais d’autres trouvent ce terme troublant. La séance plénière L’architecture au service de la réconciliation, à la Conférence 2017 Fiducie nationale-APT, à Ottawa, a réuni trois conférenciers – Alfred Waugh (fondateur, Formline Architecture), Janna Levitt (associée, LGA Architectural Partners) et Calvin Brook (cofondateur, BrookMcIlroy) – pour approfondir certaines de ces questions. Des immeubles existants, au Canada, pourraient-ils être adaptés de façon à respecter la culture des Autochtones? De nouveaux espaces le pourraient-ils? Les conférenciers n’avaient pas de conclusion ferme à proposer, mais ils ont contribué à une importante discussion sur la tradition culturelle, le lieu et le vécu autochtone. Le présent essai photographique prolongera cette conversation en considérant certains projets pionniers.

Sur le toit du siège de Native Child and Family Services, le cabinet LGA Architectural Partners a aménagé un pavillon de ressourcement et un site de feu de camp (photo : Ben Rahn, A Frame Architecture).

Le Canada connaît un essor inédit d’initiatives autochtones en matière d’architecture et d’aménagement paysager. Des centaines de nouveaux espaces traditionnels – modestes ou saisissants – prennent forme à travers le pays, poussant les Canadiens à dépasser les stéréotypes de l’architecture autochtone, comme les tipis et les igloos. Il y a en effet un fossé qui persiste entre ce qui retient l’attention des médias et les réalités de l’environnement bâti dans de nombreuses communautés autochtones. Le foisonnement actuel d’initiatives architecturales touche aussi bien des lieux qui sont constamment reconstruits que des nouveaux espaces destinés à l’interaction culturelle, à des pratiques traditionnelles ou à la guérison. Les communautés autochtones restent attachées à des pratiques de conception traditionnelles provenant d’un passé lointain, sans toutefois que ce soit nécessairement évident au profane. Par ailleurs, on voit un nombre croissant d’exemples de conception autochtone qui sont intégrés à des immeubles existants et à des paysages dans des centres urbains canadiens. Dans l’ensemble toutefois, une bonne part de cette activité remarquable passe inaperçue et n’est pas appréciée à sa juste valeur.

L’expression architecturale autochtone reflète la diversité des peuples autochtones. Cela dit, les terres qui composent le Canada d’aujourd’hui comprennent des centaines de territoires traditionnels. Certains sont partagés, certains sont parsemés d’établissements modernes et la plupart sont complètement perdus pour leurs occupants autochtones d’origine. Il n’y a que peu ou pas de communautés autochtones qui contrôlent l’ensemble du territoire traditionnel qui était le leur à l’arrivée des Européens. Il y a plus de 630 collectivités autochtones uniquement dans des réserves au Canada, ce qui ne comprend pas les nombreuses collectivités qui subsistent dans le Grand Nord ou les « nouvelles » communautés signataires d’un traité, comme la Première Nation Tsawwassen en Colombie-Britannique. C’est dire que l’architecture autochtone est loin d’être homogène. Chaque communauté a ses propres traditions, moeurs et récits oraux. Chacune a sa propre interprétation de sa culture s’exprimant dans l’aménagement de l’environnement, et elle se retrouve clairement dans l’architecture au sein et en périphérie de ces communautés.

La Maison des premiers peuples de l’Université de Victoria est une réalisation d’Alfred Waugh, du cabinet Formline Architecture. S’inspirant de la longue maison des Salish du littoral, l’immeuble est un lieu hospitalier mettant en valeur la culture et la spiritualité (photo : Nic Lehoux).

Les communautés autochtones choisissent de mettre en lumière la culture traditionnelle dans des concepts de planification et d’architecture d’avant-garde. Ces concepts comprennent tout à la fois une utilisation de l’espace visant à mettre en valeur la culture locale – souvent avec un musée, un centre culturel ou un établissement d’enseignement – et une utilisation de l’architecture elle-même pour affirmer la volonté de la communauté de préserver ses traditions et sa culture. La façon dont un groupe culturel se représente dans l’architecture est une manifestation de l’intention de pérenniser sa culture. Le processus n’est toutefois pas simple. Ces représentations culturelles peuvent aller de la reconstruction de lieux traditionnels jusqu’à des oeuvres contemporaines combinant des matériaux modernes et des éléments traditionnels.

BrookMcIlroy a réalisé le lieu de rencontre sur le thème de la danse du cerceau au Collège Mohawk de Hamilton (Ontario). Inspiré des calendriers solaires et lunaires ainsi que de la roue médicinale, il est un lieu tout indiqué pour les pratiques traditionnelles, l’enseignement traditionnel, la méditation et l’étude dans le calme (photo : Tom Arban).

En 20 ans passés à me rendre dans des milieux autochtones, j’ai constaté une tendance très claire et de plus en plus forte à une « réappropriation » des processus de planification communautaire et de conception architecturale. Les membres de la communauté y jouent un rôle de plus en plus actif. L’inclusion décisive des membres de la communauté autochtone dans l’ensemble des processus de planification et de conception de Harriet Burdett-Moulton, Douglas Cardinal, Wanda Dalla Costa, Alain Fournier, Ryan Gorrie, Janna Levitt, Eladia Smoke, Patrick Stewart et Alfred Waugh, parmi bien d’autres, témoigne d’un retour vers le contrôle communautaire direct de l’architecture autochtone. Ces démarches inclusives ont engendré des projets communautaires originaux et authentiques. Plus encore, elles ont suscité une prise de conscience de la capacité d’action communautaire, qui va bien au-delà de la planification ou de la conception d’immeubles.