120 ans plus tard, le site historique national du Doukhobor Dugout célèbre l’immigration au Canada

Chaque année, pendant quatre journées de juillet, des douzaines de Canadiens se rassemblent à une grotte près de la rivière Saskatchewan Nord. Vêtus d’habits russes du XIXe siècle, ils chantent, tirent des charrues, préparent du pain et font revivre l’esprit de leurs ancêtres qui ont immigré dans la région il y a 120 ans. C’est ici, au lieu historique national du Doukhobor Dugout, qu’ils reconstituent la vie des Doukhobors, une secte religieuse qui a colonisé les Prairies canadiennes après avoir subi de la persécution fondée sur les croyances religieuses en Russie. Pour Brenda Cheveldayoff, c’est plus que de l’histoire, il s’agit d’un héritage familial.

« C’était le rêve de mon père que cet endroit soit reconnu à l’échelle nationale. Il m’a légué ce rêve, dit Cheveldayoff. C’est un sentiment incroyable que de faire connaître ce que les Doukhobors ont surmonté il y a 120 ans. »

Maintenant propriétaire de l’endroit, Cheveldayoff est en fait l’arrière-petite-fille de Iakov Fedor Popoff, un des 7500 Doukhobors ayant immigré dans les Prairies canadiennes en 1899. Puisque les matériaux de construction étaient limités, les Doukhobors se sont servis du ravin, ont creusé un trou dans la pente et l’ont fermé avec trois murs en rondins et un toit en terre battue. Le grand-père de Cheveldayoff était alors un orphelin de 11 ans. Bien que des structures plus permanentes auraient pu être construites, il a vécu pendant cinq ans dans la maison de 436 pieds carrés (maintenant connue sous le nom de Doukhobor Dugout) en compagnie de neuf autres familles.

« Aujourd’hui on habite des structures de 5000 pieds carrés à deux personnes, dit Cheveldayoff. Quand on regarde la maison de neuf familles de 425 pieds carrés, on se heurte à la réalité de ces dernières. C’est incroyable que ces structures soient toujours debout après plus d’un siècle.

C’est désormais grâce au « tourisme interactif » que chaque samedi de juillet, Cheveldayoff raconte l’histoire des Doukhobors à des milliers de visiteurs. Elle encourage ces derniers à s’impliquer sur les lieux en les faisant travailler dans les champs, laver des vêtements dans la rivière et manger du pain cuit au four dans le style traditionnel des Doukhobors. Pour elle, transporter une charrue dans la terre, comme les femmes doukhobors le faisaient, c’est un outil efficace pour que les visiteurs se familiarisent avec les épreuves que la secte a surmontées dans ses premières années.

« Tirer une charrue, il n’y a que ça de vrai, dit Cheveldayoff. Venir au Canada, vivre sur les flancs des collines et essayer de construire des abris de fortune, c’était plutôt brutal pour eux. »

Aujourd’hui, les visiteurs du site, qui comprend les ruines de la maison creusée, plusieurs annexes et des vestiges archéologiques, pourraient voir l’auteur de Guerre et Paix, Léon Tolstoï, chanter des chants traditionnels doukhobors ou des femmes de l’époque tirer une charrue dans les champs. Ces personnages sont joués par des descendants des Doukhobors (on en compte environ 30 000 aujourd’hui, au Canada). Ils éduquent les visiteurs à propos de figures marquantes de leur histoire et des traditions de leurs ancêtres, comme la vie en communauté, le végétarisme et l’abstinence d’alcool.

Selon Brenda, « c’est un peu comme revenir en 1899 ». Les outils pédagogiques classiques comme les textes, les enregistrements audios et les vidéos ne rendent pas justice à cette période de l’histoire, ajoute-t-elle. « Nous sommes tous costumés et jouons un personnage. C’est une façon beaucoup plus intéressante de sensibiliser les visiteurs. »

Admis à titre de dernier exemple de cette forme d’abri temporaire au Canada, l’endroit a été reconnu en tant que site patrimonial provincial en 2005, puis en tant que lieu historique national, trois ans plus tard. Le site rappelle les difficultés auxquelles de nombreux colons de différentes origines ethniques ont fait face à leur arrivée dans les Prairies et montre les solutions concrètes qui ont été adoptées dans un milieu dénué d’arbres.

Le site ouvrira à nouveau ses portes aux visiteurs en 2020, lors de la Journée des lieux historiques du Canada. Les membres de la Fiducie nationale seront gratuitement admis sur les lieux.

Les femmes doukhobors tirant une charrue, Colonie de Thunder Hill, Manitoba. Bibliothèque et Archives Canada