Liste des lieux menacés en 2020 – Rétrospective de l’année
Depuis 2003, la Liste des lieux menacés de la Fiducie nationale met en lumière les lieux patrimoniaux en péril au Canada – depuis les lieux de cultes jusqu’aux paysages culturels autochtones, aux repères communautaires et aux maisons vernaculaires. En 2020, la date de publication habituelle de la liste au printemps a été compromise par la COVID-19, ce qui est venu exacerber les défis sur le plan patrimonial en plus d’avoir détourné l’attention du secteur vers de nouveaux besoins urgents. Alors que l’année 2020 tire à sa fin, nous partageons quelques-uns des enjeux qui ont retenu notre attention cette année – et qui définissent de nouvelles orientations pour la liste des lieux menacés comme un outil puissant de la trousse d’outils de défense.
Lieux de cultes
La recherche de la Fiducie nationale démontre qu’un tiers des 27 000 édifices à caractère religieux au Canada – c’est-à-dire plus de 9 000 – pourraient fermer définitivement leurs portes au cours de la prochaine décennie. Au cours de la pandémie de 2020, on a assisté à la fermeture de ces édifices qui ont cessé d’offrir des services au pays, à une baisse des revenus, ainsi qu’à l’accélération du rythme des fermetures. Cette forte augmentation ne témoigne pas uniquement de la crise du patrimoine bâti, mais également de la perte des usages communautaires essentiels qu’il permet. Dans un rapport de 2020 préparé avec l’aide de la Fiducie nationale et intitulé « Pas d’espace pour la communauté : Examen approfondi de la perte d’infrastructure communautaire due à la fermeture des édifices religieux en Ontario », on mesure l’utilisation des édifices religieux et la façon dont les fermetures pourraient influencer le vaste éventail des services à but non lucratif et des groupes communautaires qui en dépendent.
« L’actuelle crise nous a rappelé l’importance des propriétaires fonciers à but non lucratif, » dit Kendra Fry, chef de projet à Faith and Common Good. « 38 % des répondants au sondage ont déclaré qu’ils ne payaient pas un sou en échange des locaux qu’ils occupent dans les édifices religieux, alors qu’un groupe important reconnaît ne payer que des montants minimaux. Ces importants groupes à but non lucratif et communautaires ne peuvent se permettre des espaces commerciaux. Si les édifices religieux ferment leurs portes, qu’adviendra-t-il de ces groupes et des gens qu’ils permettent de réunir? »
À Church Point en Nouvelle-Écosse, l’Église Sainte-Marie domine le paysage. Érigée en 1903-1905 par 1 500 bénévoles locaux, il s’agit de l’église en bois la plus imposante en Amérique du Nord (elle est plus élevée que la Statue de la Liberté!), alors que chacune des colonnes de 70 pieds qu’on retrouve dans sa nef ont été sculptées à partir d’arbres locaux. Avec un déficit de 3 000 000 $ en raison des réparations, le diocèse catholique local accorde aux bénévoles locaux jusqu’en 2021 pour amasser les fonds. Sinon, l’église sera démolie.
De l’autre côté de la baie de Fundy au Nouveau-Brunswick, la rétrocaveuse s’est présentée l’an dernier à l’église baptiste sur la rue Union à St. Stephen, qui est une des plus grandes églises de Saint-Jean : Les arches gothiques (1877) avec son toit de type corbeau à console élancé et ses pierres excavées à la main ont été réduites en décombres. À Battleford, Saskatchewan, la fin approche pour l’église St. Vital, la plus ancienne église catholique romaine dans la province qui présente un lien direct avec la Rébellion du Nord-Ouest de 1885.
Lieux patrimoniaux ouverts au public et espaces communautaires
Le confinement attribuable à la pandémie de 2020 entraîne pour les lieux patrimoniaux et les musées du Canada des pressions extrêmes sur les plans des finances et des ressources humaines. Plusieurs sites ne pouvaient ouvrir leurs portes au public l’été dernier, de sorte que la perte des revenus attribuables à la vente de billets et des dons a donné lieu à une crise existentielle. Dans un sondage de Heritage BC intitulé « Heritage Health Check » on déclare de façon alarmante que 32,5 % des lieux patrimoniaux de la Colombie-Britannique pourraient ne jamais reprendre vie, alors que plusieurs ont été fermés une fois pour toutes. L’érosion de la base des bénévoles communautaires ou des personnes âgées qui soutiennent plusieurs des lieux patrimoniaux vient aggraver davantage la crise. La campagne #Chantierdupatrimoine – pilotée par le secteur du patrimoine au Canada et dirigée par la Fiducie nationale – a tenté d’obtenir pendant la pandémie un financement de relance du fédéral pour s’attaquer à l’entretien reporté de plusieurs des sites : on a établi à plus de 356 000 000 $ les coûts en travail possible sur plus de 200 sites. En réaction, la province de la C.-B. a annoncé un engagement de près de 20 millions de dollars en financement pour les projets patrimoniaux dans le cadre de son Community Economic Recovery Infrastructure Program et espère obtenir des fonds additionnels pour d’autres secteurs au cours de la prochaine période.
Lieux patrimoniaux commerciaux
Depuis quelques années, les rues principales traditionnelles au Canada subissent d’intenses pressions sur le plan du réaménagement, ce qui a donné lieu à des travaux de démolition généralisés dans des endroits, comme Toronto, en plus d’avoir retenu l’attention de l’Architectural Conservancy en Ontario. La pandémie n’a fait qu’exacerber ces menaces. Sur sa 2020 Top Ten Watch List, par exemple, Heritage Vancouver a souligné la menace actuelle qui guette les entreprises du quartier. L’Institut urbain du Canada dans le cadre de son initiative Relancer les rues principales (à laquelle la Fiducie nationale participe) a retenu l’attention et donné lieu à des solutions innovatrices dans les corridors commerciaux patrimoniaux, incluant le Manuel du concours d’aménagement des rues principales.
Pendant ce temps, l’absence de financement destiné aux projets patrimoniaux importants représente un défi croissant, alors que le besoin d’incitatifs fédéraux en matière de réhabilitation du patrimoine se fait plus urgent. En voici quelques exemples : La fermeture de l’édifice de la Baie d’Hudson, un point de repère de Winnipeg, qui a été devancée en raison de la pandémie, crée une urgence extrême afin qu’on trouve une façon d’adapter et de réutiliser cet édifice phare du centre-ville. Le Cyclorama de Jérusalem à Ste-Anne-de-Beaupré, reconnu par le ministre de la Culture du Québec, est toujours en vente et continue de se détériorer. À Edmonton, le hangar 11 historique (inscrit sur la liste des lieux menacés de 2017 de la Fiducie) continue de dépérir, malgré des coûts de stabilisation de 20 millions de dollars, alors que l’atelier de forgeron Minchau, qui a été inscrit sur la liste des lieux menacés en 2018, a été démoli en septembre – victime du zonage ponctuel et du financement limité.
Les changements climatiques apparaissent tout en haut sur l’ordre du jour national. En accélérant rapidement la réutilisation des immeubles patrimoniaux et autres plus âgés du Canada, on dispose ainsi d’une des façons les plus rapides d’atteindre les cibles du changement climatique au Canada. Malgré tout, l’industrie et le marché du développement immobilier préconisent les nouvelles constructions, dont les répercussions sur l’environnement sont plus profondes que la réutilisation des édifices. Les nombreux obstacles à la réutilisation et les solutions recommandées à ce niveau ont fait l’objet du rapport de la Fiducie nationale intitulé Faire de la réutilisation la nouvelle norme – accélérer la réutilisation et la rénovation de l’environnement bâti au Canada, qu’on a publié en novembre.
Lieux patrimoniaux résidentiels
L’impératif qui consiste à densifier les quartiers plus anciens, à limiter l’étalement urbain et à réduire notre empreinte de carbone est largement accepté. Les démêlées bien connues en 2020 concernant deux maisons patrimoniales laissent présager le besoin de leadership au niveau civique.
Lorsqu’un changement de nature politique est venu retirer la protection patrimoniale du 514, croissant Wellington en 2016, un promoteur a immédiatement acheté la propriété dans l’intention d’y construire des condominiums. Malgré une campagne de défense qui s’est étendue sur plusieurs années et qui a galvanisé la ville, on démolissait la maison en novembre. Pendant ce temps, à Halifax, le chalet de bois de style géorgien au 1029, chemin Tower (Lieux menacés 2018) semblait sur le point de subir un sort comparable. Le promoteur, la municipalité et les groupes patrimoniaux en sont venus à un compromis en déplaçant la maison sur le terrain et en augmentant sa densité.
D’autres villes ont fait preuve d’une créativité comparable : La ville de Calgary a voté pour qu’on offre de nouveaux incitatifs inédits pour favoriser la conservation du parc de logements dans les secteurs qui ont du caractère. Le district de Vancouver Ouest a posé un geste inhabituel en subdivisant une propriété et en permettant la location à court terme pour assurer l’avenir d’une maison du milieu du siècle conçue par Ron Thorn. De tels incitatifs auraient pu aider à rétablir l’équilibre pour la maison Reid (1760) à Avonport, Nouvelle-Écosse, une maison dont la province avait ordonné illégalement la destruction en décembre. Le Heritage Trust de la Nouvelle-Écosse demande une enquête et exige qu’on impose l’amende maximale de 250 000 $ en vertu de la loi provinciale.
Lieux patrimoniaux appartenant au fédéral et réglementés par l’état
En décembre 2019, une tâche en matière de patrimoine apparaissait dans la lettre de mandat du PM destinée au ministre de l’Environnement et du Changement climatique qui consistait à « Collaborer avec le ministre de l’Environnement et du Changement climatique afin de fournir une orientation plus claire sur la façon dont les lieux patrimoniaux nationaux devraient être désignés et préservés, et de déposer un nouveau projet de loi exhaustif sur les lieux patrimoniaux du gouvernement fédéral. »
L’année 2020 déborde d’exemples qui témoignent du besoin d’une telle collaboration : La gare de chemin de fer désignée par le gouvernement fédéral à Hornepayne, Ontario est tombée sous le pic des démolisseurs, et plusieurs autres, malgré leur statut en vertu de la Loi sur la protection des gares ferroviaires patrimoniales du fédéral, encourent un tel risque, incluant la gare de White River, Ontario, d’Ingersoll, Ontario et de Portage La Prairie, Manitoba. Personne n’a été désigné pour surveiller ou signaler ce qu’il advient de ces gares. Plus récemment, on annonçait la démolition imminente de l’historique pont Alexandra à Ottawa comme un fait accompli, alors qu’on invitait le public uniquement à commenter la façon dont on pourrait le commémorer lorsqu’il sera chose du passé. Et qui peut oublier le combat ayant entouré l’hôtel Château Laurier à Ottawa, un site qui, malgré son importance à l’échelle nationale et sa désignation fédérale, était sur le point de voir son nom ajouté à la liste, si ce n’eut été la campagne de défense nationale menée de main de maître par Patrimoine Ottawa.
Voyez ce que recommande la Fiducie nationale au ministre en matière de travaux en cliquant ici.
Lieux et terrains précieux aux yeux des peuples autochtones – Nouvelles orientations
Comme Karen Aird et Gretchen Fox l’expliquent dans leur rapport de 2020 intitulé Le patrimoine vivant autochtone au Canada, « Les peuples autochtones voient le patrimoine culturel comme l’entrelacement dynamique du patrimoine tangible et intangible, de la langue, du savoir traditionnel et de la spiritualité. Alors que la liste des lieux menacés comportait certains lieux patrimoniaux autochtones par le passé, nous savons que la liste et, effectivement, les systèmes patrimoniaux occidentaux conventionnels en général, doivent faire l’objet d’une nouvelle réflexion fondamentale pour être inclusifs, appropriés et efficaces – en plus, les efforts de préservation du patrimoine autochtone doivent être conçus et dirigés par les peuples autochtones. Nous sommes donc ravis d’annoncer notre dernier projet en compagnie du Cercle du patrimoine autochtone, qui consiste à embaucher conjointement Raven Boyer qui dirigera un processus fondamental de réflexion consacré à la liste des lieux menacés du point de vue autochtone. Nous sommes ravis d’accueillir Raven, qui travaille à distance à partir du territoire traditionnel non cédé des peuples Wolastoqiyik et Micmac à Moncton, Nouveau-Brunswick.
Liste des lieux menacés de la Fiducie nationale en 2021
L’an prochain, en plus de faire en sorte que la liste ait davantage de sens pour les lieux patrimoniaux autochtones, la Fiducie utilisera cet outil éprouvé de nouvelles façons : Plutôt qu’un seul appel de mises en candidature annuel suivi d’un communiqué de presse pour 10 lieux, la Fiducie nationale acceptera désormais des mises en candidature à sa liste des lieux menacés tout au long de l’année – alors que nous inscrirons des lieux sur la liste en temps réel à différents moments au cours de l’année de manière à mieux répondre aux besoins de chaque cas en particulier. Nous complèterons également la trousse d’outils des lieux menacés en créant un nouveau webinaire pour mieux faire connaître les stratégies de défense que nous avons vues en action sur le terrain.
Nous, les défenseurs du patrimoine, continuons toujours de progresser!