Protéger le caractère distinctif des quartiers traditionnels
Bon nombre des quartiers patrimoniaux traditionnels du Canada sont contraints d’accroître leur densité, d’accueillir une plus grande variété de résidents et d’offrir plusieurs options de logement, y compris le logement abordable.
D’autres communautés cherchent des moyens d’attirer de nouveaux résidents et investissements tout en se protégeant contre l’embourgeoisement. Voici trois exemples qui sont une source d’inspiration :
Concilier la protection du patrimoine avec la « densité modérée »
Pour permettre d’accroître la densité, le conseil municipal d’Edmonton a approuvé l’ajout de « logements accessoires » (nouveaux logements résidentiels aménagés dans des habitations existantes), de « logements au-dessus d’un garage » et de « logements en annexe » (nouveaux bâtiments isolés) intégrés dans les quartiers établis. Le conseil municipal a également approuvé des subdivisions de lots standard de 4,65 m (50 pi) de largeur en deux lots de 2,32 m (25 pi) de largeur à travers la ville.
« Dix ans plus tard, les objectifs d’aménagement intercalaire du plan ont été atteints, sinon dépassés », explique Darbi Kinnee, directrice des relations gouvernementales à l’Association canadienne des constructeurs d’habitations – région d’Edmonton.
Pourtant, l’accroissement de cette « densité modérée » préoccupe depuis longtemps les propriétaires de la région du patrimoine architectural de Westmount à Edmonton (WAHA). Il s’agit d’un quartier établi à l’ouest du centre-ville comportant de nombreuses maisons anciennes datant de 1910 à 1920.
« Westmount a été l’une de nos premières banlieues de tramways », explique Scott Ashe, un urbaniste de la Ville d’Edmonton. « Contrairement à la plupart des autres quartiers qui ont évolué très lentement, Westmount a été développé en très peu de temps. Cela a donné à ses paysages urbains un caractère architectural très cohérent et harmonieux. »
« Les gens ont commencé à investir dans ces vieilles maisons historiques il y a quelques décennies, a-t-il ajouté. Dans les années 1990, ces résidents ont fait pression sur la ville pour instituer la WAHA, ce que nous avons fait. Malheureusement, les règles de la WAHA ont très peu contribué à harmoniser le nouveau développement avec l’aspect traditionnel du quartier. Elles étaient de nature plus honorifique. »
Les lacunes de la désignation patrimoniale de la WAHA se sont avérées problématiques lorsque la politique de la Ville d’Edmonton sur l’aménagement intercalaire a commencé à être appliquée sérieusement. Pour répondre à ces préoccupations tout en respectant les objectifs de construction intercalaire du plan d’aménagement municipal et les droits des promoteurs, la Ville a tenu un vaste processus de consultation avec toutes les parties prenantes. Les résultats de ces consultations ont permis de dresser une liste largement appuyée de modifications de zonage pour la WAHA, que le conseil municipal d’Edmonton a approuvée en 2019.
« Les parties prenantes ont participé au processus avec l’idée qu’il s’agissait d’une conversation et que l’élaboration d’une solution nécessitait un compromis de la part de toutes les parties, a déclaré M. Ashe. Et c’est ce qu’elles ont fait. Elles ont présenté des propositions qui ont fait consensus ».
Le compromis : En vertu des règles de zonage révisées de la WAHA, toutes les nouvelles constructions et les rénovations majeures des façades des maisons patrimoniales de cette région doivent être conformes au caractère distinctif traditionnel du quartier. Par ailleurs, la politique de zonage révisée permet d’ajouter des logements secondaires, des logements au-dessus d’un garage et des logements en annexe. Ils doivent simplement s’intégrer à l’architecture du quartier.
Les règles de zonage révisées de la WAHA ont été bien reçues par les propriétaires de maisons patrimoniales et les promoteurs immobiliers. « En fait, lorsque nous avons présenté les modifications de zonage proposées au conseil, les deux parties ont appuyé ces modifications publiquement et personne ne s’y est opposé », a déclaré M. Ashe.
La leçon tirée des révisions de zonage de la WAHA est que la préservation du patrimoine peut s’harmoniser à l’accroissement de densité modérée et aux projets de construction intercalaire respectueux de l’architecture, dans la mesure où tout le monde peut participer au processus d’élaboration des règles. L’approche consultative est actuellement mise en œuvre dans la banlieue historique de Glenora, à Edmonton.
Un compromis créatif sauve un chalet à Halifax
Construite en 1873, la maison Dr James Doull d’Halifax, située au 1029 chemin Tower, est un chalet en bois de style géorgien surmonté de deux lucarnes écossaises à cinq faces. Elle est le fleuron des maisons du patrimoine, mais son sort était menacé en raison des lacunes de la désignation du patrimoine municipal.
« L’inscription aux registres municipaux n’offre qu’une protection limitée en Nouvelle-Écosse, a déclaré Andrew J. Murphy, président de l’Heritage Trust de la Nouvelle-Écosse (HTNS). Vous pouvez démolir un édifice du patrimoine après avoir donné un préavis de trois ans à la Ville. C’est ce que l’actuel propriétaire du chalet au 1029 chemin Tower a fait en 2017 : il lui a donné un préavis pour qu’il puisse détruire le chalet afin de construire des logements de plus haute densité sur la propriété. »
L’une des raisons pour lesquelles la maison Dr James Doull était vulnérable à la démolition était la position inhabituelle du chalet sur son lot. Le chalet était à l’origine situé sur une parcelle de terrain plus grande qui a par la suite été subdivisée pour construire d’autres maisons, alors le côté du chalet plutôt que sa façade donnait sur le chemin Tower. « Il était là avant que le reste de la ville ne s’étale autour de lui, expliquait M. Murphy. Le chalet avait été placé sur le terrain non pas face aux rues, mais face au soleil. »
Le sort de la maison Dr James Doull semblait scellé jusqu’à ce que le personnel du patrimoine de la Ville d’Halifax trouve une solution novatrice dans le cadre de son programme Heritage Advantage. « Comme dans ce cas et dans bien d’autres, la logique derrière le programme Heritage Advantage est de permettre aux propriétaires d’obtenir une densité plus élevée et d’autres avantages s’ils préservent les bâtiments plutôt que de les démolir, a déclaré M. Murphy. De cette façon, nous pouvons préserver les caractéristiques traditionnelles des quartiers patrimoniaux tout en répondant aux besoins d’une plus forte densité et de logements abordables. »
Plutôt que de simplement démolir la maison et de construire sur son terrain, la Ville et l’HTNS ont proposé de déplacer le chalet pour qu’il soit face à la rue, puis de permettre au propriétaire de construire un nouvel immeuble de trois étages qui inclurait de six à neuf logements résidentiels. Le chalet lui-même serait rénové pour fournir des logements résidentiels au sous-sol et au deuxième étage, ainsi qu’un café au rez-de-chaussée. L’extérieur du chalet sera restauré selon les normes du patrimoine, avec une pelouse devant la maison pour bien compléter le style de l’époque victorienne. Bien que le déplacement des structures patrimoniales soit généralement considéré comme une solution de dernier recours, dans ce cas, il s’agissait d’une approche créative qui a produit un résultat positif : le maintien d’un bâtiment patrimonial dans son quartier d’origine.
Bonavista Living préserve les habitations et la communauté
John Norman, de Terre-Neuve-et-Labrador, a été surnommé le « baron de Bonavista » en raison des nombreux immeubles patrimoniaux (72 au dernier compte!) détenus par ses entreprises Bonavista Living et Bonavista Creative dans la communauté. Mais même si M. Norman et son partenaire d’affaires achètent ces maisons patrimoniales et ces sites commerciaux de Terre-Neuve pour les rénover aux fins de location ou de revente, ils ne cherchent pas à « embourgeoiser le quartier ». En fait, le maire de Bonavista, âgé de 35 ans, tente de vendre ces maisons à de nouveaux résidents à longueur d’année dans la mesure du possible, plutôt que de les vendre à de riches baby-boomers à la recherche de propriétés estivales. Bien que M. Norman doive gagner sa vie, il ne réalise pas ces projets pour l’argent, et ses efforts de conservation illustrent comment la préservation du patrimoine peut aller de pair avec le maintien de collectivités socialement viables et de logements économiquement accessibles.
« J’ai vu trop de communautés balnéaires devenir des “musées vivants” en raison des efforts de préservation du patrimoine qui ont fait monter les prix et attiré seulement les résidents estivaux, a déclaré M. Norman au magazine Locale. Mon objectif n’est pas seulement de préserver le grand nombre de maisons patrimoniales situées à Bonavista, mais de préserver la santé économique et la résilience sociale de cette communauté. Ces objectifs déterminent à qui nous vendons et la manière dont nous réalisons nos projets. »
Plusieurs des maisons patrimoniales qui apparaissent sur le site www.bonavistaliving.com étaient inoccupées depuis longtemps et délabrées avant que John Norman les achète. Les prix d’achat reflétaient la gravité de la détérioration. Certaines ont coûté aussi peu que « quelques milliers de dollars », a-t-il dit.
Par ailleurs, l’approche axée sur la préservation du patrimoine que M. Norman choisit d’adopter pour une habitation dépend également de son état. « Dans certains cas, l’intérieur et l’extérieur sont authentiques; il est donc logique de restaurer les deux avec autant d’exactitude historique que possible, a-t-il déclaré. Dans d’autres cas, l’intérieur des maisons a été dégarni au fil des ans, ne laissant presque rien à restaurer. Alors, nous donnons des apparences plus modernes à ces maisons, et elles sont souvent subdivisées en unités pour fournir plus de logements abordables. Toutefois, nous faisons de notre mieux pour nous assurer que l’extérieur de ces maisons est restauré correctement, à la fois en leur mémoire et pour préserver le paysage urbain. »
Les efforts de John Norman ne visent pas seulement à préserver le patrimoine bâti de Bonavista, mais ils fournissent également des emplois à des charpentiers qualifiés de toute la province. De plus, la richesse des objets historiques souvent présents dans ces bâtiments, des vieux journaux aux cadres de lit d’époque, en passant par les baïonnettes de la Première Guerre mondiale cachées dans les murs, est exposée autant que possible pour mettre leur histoire individuelle en contexte. M. Norman est actuellement en train de compiler des fichiers historiques pour chacune de ses propriétés afin d’aider leurs nouveaux propriétaires à apprécier et à comprendre leur origine.