Pintes de lait et enseignes de métro : Une sélection d’histoires locales à Montréal
Créer des ponts, la Conférence conjointe de la Fiducie nationale et de l’Association pour les technologies de préservation (APT), se tiendra dans la ville de Montréal du 12 au 16 novembre 2024. Installé sur le territoire traditionnel non cédé des Kanien’kehà:ka, le paysage bâti de la ville met en valeur plusieurs architectures de renom comme l’Habitat 67 de Safdie, les majestueux bâtiments victoriens du Mille carré doré et les rues pavées du Vieux-Port de Montréal.
Bien que ces monuments méritent sans aucun doute l’attention qu’on leur accorde, ils ne font pas l’objet de cet article. Cet article sert plutôt à mettre en vedette certains bâtiments que vous observez au quotidien, mais qui véhiculent en fait diverses histoires de Montréal au 20e siècle, qu’il s’agisse de piscines ou de cinémas. Sans être exhaustive, cette liste explore les nœuds historiques qui se trouvent dans des recoins de la ville, à la fois familiers et nouveaux.
Bains de quartier
Vers le début du 20e siècle, les populations des quartiers ouvriers de Montréal ont fait face à une importante crise sanitaire. Les familles nombreuses vivaient à l’étroit dans des quartiers toujours plus denses, et la plupart des maisons n’avaient pas les installations appropriées pour se laver.[i] Selon un rapport de 1905 de l’Écomusée du Fier Monde, 75 % des habitations dans les quartiers ouvriers n’avaient ni baignoire ni douche.[ii]
Pour remédier à la situation, entre 1910 et 1930, la ville a financé la construction de bains publics dans les quartiers ouvriers partout sur l’île. Un grand nombre de ces bains publics comportaient également des piscines récréatives. À mesure que les installations de bains et douches devenaient plus courantes dans les foyers de quartiers ouvriers vers le mi-siècle, on a transformé les bains publics, anciennement une mesure de santé publique, en installations de sports aquatiques et de baignade récréative.
Aujourd’hui, certains de ces bains sont encore ouverts au public, dont le Bain Saint-Denis (construit en 1910), le Bain Émard (construit en 1914) et le Bain Quintal (construit en 1932). [iii]
Guaranteed Pure Milk Ltée
Les symboles et enseignes de l’industrie agroalimentaire de Montréal sont devenus des repères historiques autour de la ville, notamment l’enseigne Farine Five Roses, l’Orange Julep et la brasserie Molson.
Un joyau bien caché, surtout ces trois dernières années en raison du développement de gratte-ciels aux alentours, est la tour d’eau en forme de pinte de lait de Guaranteed Pure Milk. Cette pinte de lait de 6 tonnes et de 10 mètres de haut servait à la fois de publicité pour la société Guaranteed Pure Milk Ltée et de tour d’eau pour son usine de pasteurisation.
Bien que Guaranteed Pure Milk Ltd. ait été fondée en 1900, l’usine et la gigantesque pinte de lait n’ont été mises sur pied qu’au début des années 1930. C’est à l’époque où la pasteurisation est devenue obligatoire pour les distributeurs de produits laitiers à Montréal suite à une épidémie mortelle de typhoïde en 1927 imputable à la consommation de lait non pasteurisé. [iv] Selon des Laiteries du Québec, la tour d’eau de Guaranteed Pure Milk a servi de coup de publicité pour restaurer la confiance des citoyens dans leurs produits. [v]
En 1990, Aliments Ault a acheté Guaranteed Pure Milk Ltd., puis la pinte de lait de géante a été abandonnée et laissée au délabrement. Cependant, grâce aux actions de citoyens engagés et à l’organisme d’Héritage Montréal en partenariat avec la Fédération des producteurs de lait du Québec, la campagne Sauvons la Pinte a été lancée en 2009, aboutissant à une restauration complète de la tour d’eau.
La pinte de lait peut être observée du toit du 1025, Lucien L’Allier, depuis la rue de la Montagne ou depuis l’avenue Overdale.
L’Entourage Guimard
Deuxième plus ancien système de métro au Canada, celui de Montréal a été inauguré le 14 octobre 1966. Une caractéristique déterminante du système de métro est la diversité de l’architecture et des installations d’art public qui caractérisent les différentes stations. L’une d’entre-elles, l’Entourage Guimard, est située à l’une des entrées de la station Square-Victoria.
L’Entourage Guimard a fait ses débuts à Paris, en France, et a été conçu par Hector Guimard, l’architecte responsable de créer les entrées originales du métro parisien entre 1900 et 1913. Les conceptions de Guimard n’ont pas survécu aux changements des tendances au fil des décennies qui ont suivi, et un grand nombre d’entre elles ont été démantelées et remplacées par des conceptions plus simplistes en marbre.
En 1965, l’architecte en chef du métro de Montréal, Pierre Bourgeau, a fait une demande à la Régie autonome des transports parisiens (RATP) pour faire installer l’une des créations de Guimard dans le nouveau métro de Montréal. La RATP, qui a collaboré avec M. Bourgeau dans la conception du métro, a accepté d’en faire installer une à la station Square-Victoria en 1967 à titre de prêt à durée indéterminée. [vi] C’est la seule véritable entrée Guimard que l’on retrouve en dehors de Paris (bien que des répliques parsèment le monde).
Nouilles Wing ltée
Le Quartier chinois de Montréal est un élément emblématique du centre-ville. Il comporte certains des plus anciens bâtiments de l’est du quartier Ville-Marie, mais aussi certains des plus menacés. Des groupes activistes, comme la fondation Jia, ont soulevé des menaces de promoteurs immobiliers et d’agents d’embourgeoisement, et ont uni les masses afin de préserver le patrimoine vivant de ce quartier.
En juillet 2023, le cœur du Quartier chinois de Montréal a été désigné site patrimonial provincial, avec une distinction pour deux bâtiments au sein du quartier : l’ancienne fabrique de cigares S. Davis and Sons et l’édifice de Wing. L’édifice de Wing, construit au départ pour servir d’établissement éducatif en 1826, est devenu un site important pour les activités manufacturières de la population immigrée chinoise qui s’établissait dans le Quartier chinois à la fin du 19e siècle. [vii] Dans les années 1960, le bâtiment est devenu le siège de Nouilles Wing ltée, les premiers producteurs de biscuits chinois bilingues (français et anglais). [viii]
Cinémas
Le début du 20e siècle était une époque marquante pour le cinéma à Montréal. Comme l’écrit Héritage Montréal, « on compte alors 59 salles de cinéma à Montréal, chacune témoignant de son époque par son architecture, tant intérieure qu’extérieure ». Beaucoup de ces salles sont encore ouvertes aujourd’hui, y compris le Théâtre Beanfield (construit en 1912), le Cinéma Impérial (1913) et le Théâtre Outremont (1929).
Le cinéma Beaubien représente un exemple très apprécié. Connu sous le nom de Le Dauphin de 1964 à 2001, le cinéma a été construit en 1937 et a longtemps été considéré comme un lieu pour regarder des films classés, indépendants et québécois. Acheté par Odeon en 1941, le cinéma a ensuite été menacé de fermeture lorsqu’Odeon a finalement déclaré faillite en 2001.
Comme l’ont écrit les chercheurs Angulo, Tremblay et Klein, la menace de fermeture de Beaubien « signifiait la disparition d’un lieu de rencontre, d’animation et de loisir (de socialisation) remettant fortement en question l’identité du quartier et fragilisant la trame commerciale locale » [ix]. Le quartier s’est mobilisé pour soutenir le cinéma, et grâce à une initiative locale, le Cinéma Beaubien continue de faire partie intégrante du tissu social du quartier de Rosemont-La Petite-Patrie aujourd’hui.
Cinéma Beaubien. Crédit: J Boucher, CC BY-SA 4.0 (Disponible en anglais seulement)
Les édifices qu’on voit tous les jours, qu’il s’agisse d’installations de transport collectif ou d’enseignes publicitaires, peuvent offrir de nouvelles perspectives sur les histoires sociales qui ont façonné la ville de Montréal. Les personnes intéressées à en savoir plus sont invitées à consulter le blogue d’Héritage Montréal et sa carte interactive, Memento.
Les inscriptions pour Créer des ponts, la conférence conjointe de la Fiducie nationale et de l’APT de 2024, sont ouvertes pour l’été 2024.
[i] Valerie Minnett and Mary-Anne Poutanen, “Swatting Flies for Health: Children and
Tuberculosis in Early Twentieth-Century Montreal,” Urban History Review /
Revue d’histoire urbaine 36, no. 1 (2007): 32, https://doi.org/10.7202/1015818ar.
[ii] Écomusée du fier monde, “GÉNÉRÉUX BATH,” Écomusée collections. https://ecomusee.qc.ca/en/collections/ecomusee-collections/the-genereux-bath/ .
[iii] Arrondissement du Sud-Ouest et Olivier Paré, “Le bain Émard.” Encyclopédie du MEM, November 7, 2017. https://ville.montreal.qc.ca/memoiresdesmontrealais/le-bain-emard.
[iv] Andy Riga. “1927 – the year Montreal milk made headlines and the city got a health code,” The Gazette. Article published February 14, 2011; Last edited July 12, 2020. https://montrealgazette.com/news/local-news/1927-the-year-montreal-milk-made-headlines-and-the-city-got-a-health-code.
[v] Laiteries Du Quebec, “The Guaranteed Pure Milk Co. Limited.” https://laiteriesduquebec.com/laiteries/mtl-guaranteed.htm.
[vi] Société de transport de Montréal, “Square-Victoria–OACI (Hector Guimard),”
https://www.stm.info/en/about/discover_the_stm_its_history/art-network/list-artworks/square-victoria-oaci-hector-guimard.
[vii] “Édifice de l’école-Britannique-et-Canadienne-de-Montréal.” Répertoire du patrimoine culturel du Québec. https://www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca/rpcq/detail.do?methode=consulter&id=117569&type=bien.
[viii] “History,” Wing Noodles Ltd, Accessed July 7, 2024. https://www.wingnoodles.com/en/history.php.
[ix] Wilfredo Angulo, Juan-Luis Klein, et Diane-Gabrielle Tremblay. Culture et Revitalisation Urbaine: Le Cas Du Cinéma Beaubien À Montréal, (Quebec: Presses de l’Universite du Quebec, 2022), 34.