Passer de la décolonisation à l’indigénisation : aperçus de l’activiste des musées Armando Perla
« Pour moi, une personne qui dit vouloir “décoloniser” son musée est de mauvais augure », déclare Armando Perla de Toronto, un conservateur qui milite en faveur des musées. Il a d’ailleurs prononcé un discours des plus éloquents lors de la Conférence de la Fiducie nationale 2022.
« Les institutions ont été bâties pour ancrer les modèles d’action et de pensée coloniaux, elles ne sont pas en mesure de le faire. Puawai Cairns, originaire de Nouvelle-Zélande, est celle qui a le mieux décrit la situation en déclarant que la seule chose que nous puissions faire à ce stade est de faire des musées des espaces moins dommageables. Il faut passer de la décolonisation à l’autochtonisation. »
Perla a grandi au Salvador et s’identifie comme une personne métisse queer d’origine nahua et européenne. C’est à la fin des années 1990 que M. Perla est arrivé sur le territoire du Traité no1, au cœur de la nation métisse. Il fuyait la violence coloniale qui se manifestait sous forme d’homophobie. Avocat de formation dans le domaine des droits de la personne, le destin, selon ses dires, a fait d’Armando Perla un professionnel des musées. Il a passé les 15 dernières années à mettre au point des pratiques démocratiques et fondées sur les droits de la personne dans le secteur muséal. Il a œuvré pour la Ville de Medellin, en Colombie, été membre fondateur du Musée canadien des droits de la personne, et a travaillé pour le Swedish Museum of Migration and Democracy et les Toronto History Museums. M. Perla assume la vice-présidence du conseil d’administration de l’Association des musées canadiens, une organisation qui a entrepris un travail difficile et transformateur, notamment avec son nouveau rapport ambitieux, Portés à l’action : Appliquer la DNUDPA dans les musées canadiens.
Un aspect essentiel du travail que M. Perla a accompli dans les musées est la création d’un espace pour les communautés historiquement marginalisées. « À la place de demander aux musées de créer des programmes pour ces communautés », explique M. Perla, « je leur demande à elles ce dont elles ont besoin, et je m’efforce de répondre à leurs besoins à travers l’accès aux espaces muséaux. » Ainsi, quand M. Perla travaillait aux Musées d’histoire de Toronto, il s’est adressé à la Toronto Kiki Ballroom Alliance (une organisation regroupant majoritairement des jeunes personnes 2ELGBTQIA+ noires et racisées). Quand ces jeunes lui ont dit avoir besoin d’espaces sûrs pour leur entraînement hebdomadaire, M. Perla a mis à leur disposition un local à Fort York : « Il faut nouer des relations à long terme et bâtir la confiance. Par ailleurs, ces relations ne sont pas nécessairement réciproques, dans la mesure où les institutions n’en tirent pas toujours d’avantage ou de compensation. On doit plutôt les envisager comme une sorte de réparation. »
Pour couronner le tout, M. Perla est également candidat au doctorat en histoire de l’art à l’Université de Montréal. Dans le cadre de ses recherches sur la muséologie des droits de la personne, il se tourne vers le Sud pour découvrir des modèles de décolonisation susceptibles de l’inspirer : des institutions comme « Collectivo H », un musée communautaire nahua à Huejotzingo, au Mexique, et El Museo de Antioquia à Medellin, en Colombie.
« Je suis constamment en train de repousser les limites, confie M. Perla. Je bouscule ces espaces muséaux parce que j’ai toujours bousculé les choses pour pouvoir exister moi-même, en tant que personne vivant en marge des marges. D’une certaine manière, je cherche à faire de la place pour moi, mais aussi pour les personnes qui viendront après moi. »