L’importance du patrimoine : deux questions, dix réponses

Nous en sommes à notre 50e anniversaire et les conversations sur le « renouvellement de la conservation du patrimoine » règnent de plus belle.

Nous avons donc demandé à un petit groupe de personnes participant à l’initiative de renouvellement du patrimoine, qui a d’ailleurs marqué les récentes conférences de la Fiducie nationale, de répondre à des questions ouvertes dans le cadre de sondages et de groupes de discussion.

Pour ce numéro de Locale, nous avons décidé de poser deux questions clés à d’anciens et à de nouveaux collègues et proches : « Pourquoi les lieux patrimoniaux ont-ils encore de l’importance? » et « À quoi ressemble l’avenir de la conservation du patrimoine? ». Voici les réponses que nous avons recueillies.

 

Pourquoi les lieux patrimoniaux ont-ils encore de l’importance?

 

Augatnaaq Eccles (Rankin Inlet, Nunavut)

Les lieux patrimoniaux sont encore importants aujourd’hui parce qu’ils représentent un endroit physique qui nous permet de tisser des liens avec la riche histoire des lieux qui nous entourent. Ils nous permettent de visiter et d’expérimenter le passé d’un lieu, et en quelque sorte d’examiner son identité et celle des personnes qui l’ont occupé avant nous. Dans de nombreux cas, la visite de lieux patrimoniaux nous permet de comprendre comment nous en sommes arrivés là où nous sommes aujourd’hui en fonction des décisions que nous avons prises dans le passé. Ainsi, nous pouvons désormais prendre des décisions éclairées en ce qui concerne la gestion de l’environnement et des ressources qui nous entourent et les interactions que nous avons avec les lieux.

En répondant à cette question, je pense à Qamaviniktalik, un lieu patrimonial de ma ville natale Rankin Inlet situé dans le parc territorial Iqalugaarjuup Nunanga. Le site lui-même a été occupé de 1200 à 1775 de notre ère par les Thuléens, puis par les Inuits. Il est situé sur un esker près de la rivière Meliadine. En parcourant le sentier du site, nous pouvons observer les vestiges des campements autrefois occupés par les Inuits, notamment les cercles de tentes en pierre, les pièges à renard en pierre, les creux provenant des huttes de terre et les chambres en pierre pour entreposer les qajait (kayaks). La visite de ce site nous rappelle comment les Inuits vivaient il n’y a pas si longtemps et comment ils utilisaient ingénieusement le paysage pour non seulement survivre, mais aussi prospérer dans un environnement par ailleurs hostile. Pour les nouvelles générations qui ont grandi dans les colonies, il peut être facile d’oublier d’où nous venons en tant qu’Inuits. Toutefois, la visite de sites patrimoniaux tels que celui-ci est une excellente manière de nous éduquer et de nous inciter à éprouver de la fierté envers notre culture et notre patrimoine. Pour les touristes, les lieux patrimoniaux sont un excellent moyen de comprendre l’identité de la ville et des premières personnes qui l’occupaient. Le site auquel je faisais référence plus tôt est encore utilisé aujourd’hui par la collectivité pour les récoltes et les pratiques traditionnelles. Il témoigne d’une certaine continuité entre nos pratiques passées et présentes en matière d’utilisation de la terre.

Photos prises sur l’esker du parc territorial Iqalugaarjup Nunanga en août 2022, qui se trouve à environ 10 minutes du sentier Qamaviniktalik.

 

Augatnaaq Eccles est une historienne, conservatrice et couturière inuite de Rankin Inlet, au Nunavut.

 

Shabnam Inanloo Dailoo (Athabasca, Alberta)

Cunningham House (aux alentours de 1912) sur le River Lot 24 à St. Albert, en Alberta

Le site River Lot 23 & 24 est un lieu patrimonial important en Alberta puisqu’il raconte l’histoire du paysage et du mode de vie des Métis. La documentation de l’état actuel des divers éléments des lieux patrimoniaux et le suivi des impacts du changement climatique sur les valeurs dans un format numérique permettent de soutenir l’élaboration de plans de conservation et de gestion à long terme qui assurent la protection des lieux patrimoniaux pour les générations futures et permettent de contribuer à des programmes d’interprétation inclusifs et à la sensibilisation du public.

Les lieux patrimoniaux sont importants parce que les gens sont importants. La relation entre les personnes et les lieux est importante.

L’engagement des collectivités dans la conservation du patrimoine permet de rapprocher les gens les uns des autres, en plus de donner aux gens les moyens de contribuer de manière significative aux processus décisionnels concernant leur patrimoine et eux-mêmes. La conservation des lieux patrimoniaux et la maîtrise des autres perceptions et pratiques traditionnelles sont essentielles à un avenir durable.

Les gens savent que les changements climatiques sont devenus l’une des principales menaces pour les sites patrimoniaux. Il devient donc urgent de déterminer les moyens pratiques pour documenter et surveiller l’état des diverses ressources patrimoniales et de développer des stratégies d’adaptation au climat. Mais combien de personnes savent que la conservation des sites patrimoniaux est une action en faveur du climat? Le rôle de la culture et du patrimoine dans l’action en faveur du climat, que ce soit par la prise de certaines décisions ou par la mise en place de certaines actions, devrait être au centre des préoccupations. L’action en faveur du climat nécessite l’engagement de tout le monde. Le travail de conservation va de pair avec la sensibilisation et l’éducation des gens qui ne connaissent pas les enjeux relatifs au patrimoine.

Il est essentiel, aujourd’hui plus que jamais, d’intégrer l’importance de la culture et du patrimoine dans l’action en faveur du climat aux efforts de formation et de renforcement des capacités au Canada et de préparer les professionnels émergents à se doter d’une compréhension plus profonde ainsi que de compétences et d’aptitudes exceptionnelles pour s’attaquer à l’urgence climatique actuelle. Le patrimoine culturel, sous toutes ses formes, matérielles ou immatérielles, doit être plus présent dans les discussions sur l’action en faveur du climat qui sont en cours aux tables de décision.

Shabnam Inanloo Dailoo est doyenne associée des initiatives stratégiques et directrice et professeure agrégée du programme Heritage Resources Management à la Athabasca University (AU). Elle siège au conseil des gouverneurs de la Fiducie nationale du Canada ainsi qu’au conseil d’administration d’ICOMOS Canada. Elle est également coprésidente de la Table ronde nationale de l’éducation sur le patrimoine et agit à titre de ressource clé pour le Réseau Patrimoine Climatique (RPC) de la Athabasca University.

 

Judy Oberlander (Vancouver, Colombie-Britannique)

Les lieux et espaces de grande valeur pour une collectivité témoignent de l’importance des lieux patrimoniaux aujourd’hui plus que jamais. Leur évolution continue, actuelle et à venir, est essentielle à la gestion des lieux patrimoniaux.

Le jardin chinois classique Dr Sun Yat-Sen, situé au cœur du quartier chinois de Vancouver, est un lieu patrimonial culturel évocateur dans notre monde en constante évolution. Il a été construit en 1986 par des artisans de Suzhou, en Chine, qui ont utilisé des techniques de construction traditionnelles et des matériaux importés de Chine. Le jardin chinois classique Dr Sun Yat-sen s’inspire des jardins classiques de la dynastie Ming (1368-1644) et a introduit des éléments chinois profondément authentiques de la nature et de la culture dans le contexte local nord-américain.

Le jardin chinois classique de Sun Yat-Sen, construit en 1986 par des artisans de Suzhou.

Il a été aménagé pour servir de lien entre « l’est et l’ouest », le monde naturel et le monde bâti et la philosophie taoïste et les usages contemporains. Il permet de rassembler les jeunes et les personnes âgées, les résidents de longue date, les touristes et les nouveaux arrivants, sous la forme d’une oasis urbaine ouverte tout au long de l’année. Le jardin a d’abord été conçu comme une partie vivante d’un quartier urbain dense de la ville de Vancouver. Il a même contribué à établir une collaboration entre les gouvernements canadien et chinois, les concepteurs et les artisans grâce à des dons publics et privés. Aujourd’hui, le jardin sert de centre culturel dynamique et d’attraction publique majeure au sein d’un quartier urbain dense, plutôt que du « joyau » privé et protégé d’un érudit-administrateur, comme il l’aurait été dans la Chine du 15e au 17siècle.

Le jardin est plutôt le symbole d’une gestion collaborative. Géré par un organisme de bienfaisance sans but lucratif, la Dr. Sun Yat-Sen Classical Chinese Garden Society, il est situé sur un site appartenant à la Ville de Vancouver et entretenu par le Vancouver Park Board. Comme l’a fait remarquer l’architecte visionnaire du jardin, feu Joe Y. Wai, lors de notre collaboration à l’élaboration du plan de conservation du jardin : « Parmi beaucoup d’autres choses, une valeur clé est l’intégration de l’énergie de la population locale, en particulier des bénévoles. Cette énergie très particulière et cet amour du jardin constituent la contribution locale non seulement à un jardin chinois, mais aussi à la création d’un jardin qui est encore en évolution. »

Largement reconnu comme un lieu spécial, le jardin a reçu le titre de « World’s Top City Garden » par le magazine National Geographic en 2011, a été élu « Canadian Garden of the Year » par le Conseil canadien du jardin en 2012, a été nommé l’un des lieux d’importance par la Vancouver Heritage Foundation et, en 2022, a reçu un prix d’excellence de la Ville de Vancouver dans la catégorie Diversity and Inclusion.

Situé au cœur du quartier chinois de Vancouver, le jardin imite les jardins classiques de la dynastie Ming (1368-1644).

Grâce à des partenariats avec diverses organisations culturelles et sociales, le jardin est encore aujourd’hui un lieu d’observation où la beauté naturelle est luxuriante et où les traditions culturelles prospèrent. Cependant, ce sont le conseil d’administration et le personnel du jardin qui veillent à ce que les histoires locales de triomphe et de tragédie prennent vie et fassent partie de l’histoire non écrite du quartier chinois de Vancouver. Cette évolution continue est le patrimoine vivant, à la fois matériel et immatériel, à son meilleur. En tant que conservateurs des lieux patrimoniaux, notre rôle n’est pas seulement de respecter et de préserver les installations physiques, mais aussi d’honorer la vision de la personne qui les a conçues. Je voudrais finir en citant l’architecte Joe Y. Wai : « Les valeurs incarnées par le jardin du Dr Sun Yat-Sen sont dynamiques et le jardin a été conçu pour être “en constante évolution, en équilibre et en harmonie”. » https://vancouverchinesegarden.com/

Les passions de Judy Oberlander pour la conservation du patrimoine et la formation continue lui ont permis de découvrir le dynamisme de cette terre à travers son travail sur des projets communautaires dans dix provinces et deux territoires. Au fil des ans, elle a été membre du personnel, animatrice d’ateliers, puis gouverneure de la Fiducie nationale du Canada.

 

Jane Nicholson (Annapolis Royal, Nouvelle-Écosse)

Pourquoi les lieux patrimoniaux ont-ils encore de l’importance aujourd’hui? Parce que chaque lieu patrimonial est beau à sa manière et que la beauté est rare dans notre monde moderne. Les villes sont devenues des lieux qui se ressemblent tous. Les magasins locaux luttent pour survivre aux grandes surfaces. Tout se ressemble. Les gens sont tristes et ne comprennent même pas pourquoi.

Ce qu’ils ne comprennent probablement pas, c’est que la beauté est un moteur économique. Ainsi, les lieux patrimoniaux, même ceux qui sont en mauvais état, sont des atouts qui ne demandent qu’à être intégrés à la vie moderne. Nous avons eu de la chance à Annapolis Royal… Notre petite ville a été sauvée à la fin des années 1970 et au début des années 1980 par une commission de développement formée et soutenue par ses propres citoyens.

Notre économie repose sur la beauté et l’histoire de nos sites patrimoniaux. Nous nous en sommes sortis parce que nous avons pris les seuls atouts dont nous disposions, c’est-à-dire de vieux bâtiments et de vieilles histoires, et nous les avons rendus à la fois beaux et significatifs. Les gens sont heureux ici… Ils aiment l’endroit où ils vivent.

C’est donc pourquoi les lieux patrimoniaux sont encore importants. Ils constituent un élément essentiel de la vie, car aujourd’hui plus que jamais, les gens aspirent à faire partie de quelque chose de beau.

Fondatrice et PDG de AIRO | Annapolis Investments in Rural Opportunity, Jane croit fermement que « tirer le meilleur de ce que l’on a » est une question de bon sens économique. Jane est la récipiendaire de deux « Built Heritage Award » de la Heritage Trust of Nova Scotia ainsi que d’un prix des gouverneurs de la Fiducie nationale pour son engagement envers le développement économique. En 2022, elle a reçu la Médaille du jubilé de platine de la Reine Elizabeth II de la province de la Nouvelle-Écosse pour ses services qui soutiennent la conservation du patrimoine.

 

Cindy Tugwell (Winnipeg, Manitoba)

Les lieux patrimoniaux sont plus importants que jamais! Depuis 2020, nous avons constaté qu’il est très important de se réunir en personne avec la collectivité pour le bien-être social et économique de notre pays. Les lieux patrimoniaux nous donnent un sentiment d’appartenance : nous assimilons les histoires des bâtiments, ce qui nous donne une meilleure compréhension de notre présent. Notre patrimoine bâti a assisté à l’histoire et a été façonné par celle-ci. Il fait partie de notre identité et de notre histoire, qui ne cesse de se tracer.

Nous revenons à la base du passé pour comprendre le présent et mieux planifier l’avenir. Nos lieux patrimoniaux favorisent la durabilité de l’environnement et peuvent être renouvelés pour devenir rentables et contribuer largement à notre économie. Ils sont architecturalement et historiquement importants et offrent une connexion sociale, une diversité et une inclusion culturelles, une visée éducative, des services sociaux pour la collectivité et des espaces abordables qui peuvent servir de logements ou de sièges sociaux pour les organismes sans but non lucratif. Ils ne sont pas seulement des artefacts statiques du passé, mais des espaces et des lieux physiques vivants qui nous montrent plus que jamais à quel point il est important de se rassembler. Ils sont importants aux niveaux local, provincial et national, alors nous devons faire de notre mieux pour les protéger, les entretenir, les soutenir et les célébrer.

Lorsque j’essaie de répondre à la question sur l’importance des lieux patrimoniaux, je pense instantanément au Quartier-de-la-Bourse, un lieu historique national. Il s’agit d’un quartier unique de plus d’une centaine de bâtiments du début du 20e siècle, répartis sur 20 pâtés de maisons de l’est à l’ouest, qui constitue le cœur de notre ville. Il s’agit également du quartier où Heritage Winnipeg a été établi et où notre relation avec la Fiducie nationale s’est développée.

Le Quartier-de-la-Bourse est un quartier unique comptant plus d’une centaine d’édifices patrimoniaux du tournant du XXe siècle. Photo : Exchange District BIZ 

Cindy Tugwell est directrice générale de Heritage Winnipeg depuis 30 ans et a été gouverneure de la province du Manitoba pour la Fiducie nationale du Canada de 2006 à 2012. Elle est l’une des figures les plus connues des milieux de la sensibilisation, de l’éducation, de la fonction publique et de l’information concernant la conservation du patrimoine bâti de Winnipeg.

 

À quoi ressemble l’avenir de la conservation du patrimoine? 

 

Mark Thompson Brandt (Ottawa, Ontario)

Je pense que l’avenir du patrimoine ressemble beaucoup à ce qu’il est aujourd’hui. Toutefois, il comptera de nombreuses valeurs ajoutées et aura une plus grande réactivité au monde qui nous entoure. Ces valeurs ajoutées et cette réactivité s’appliqueront notamment à la réponse aux changements climatiques et à l’évolution des besoins de la société, aux perspectives plus larges des lieux que nous désirons conserver, à l’adoption accrue de technologies pour une meilleure conservation et une meilleure communication, au renforcement de la collaboration avec d’autres disciplines telles que l’ingénierie environnementale, la poésie de rue et la climatologie, à l’abandon du dogme au profit d’une approche plus fluide et à l’utilisation de compétences de conservation pour générer un éventail plus large de structures anciennes.

Par exemple, la réponse de la conservation du patrimoine aux changements climatiques pourrait ressembler à ce qui suit : des événements climatiques de plus en plus graves nous obligeront à trouver un plus grand nombre de moyens efficaces de « renforcer » les ressources historiques afin qu’elles puissent résister aux conditions plus difficiles. Des ressources de plus en plus rares nous obligeront à trouver des matériaux et des traitements de remplacement pour les lieux historiques. La nécessité de plus en plus urgente de réduire les émissions de gaz à effet de serre nous obligera à entreprendre d’importants travaux de rénovation écologiques des bâtiments, infrastructures et lieux historiques et anciens et à utiliser nos compétences pour entreprendre un plus large éventail de travaux de rénovation des bâtiments en collaboration avec divers organismes.   Comme les technologies propres sont en train de remplacer les combustibles fossiles utilisés pour alimenter le monde, elles deviendront peu à peu la norme et ne seront plus considérées comme une énergie « étrangère ». Ce faisant, les approches de protection des éléments caractéristiques qui définissent la valeur d’un lieu ou d’un paysage gagneront une souplesse accrue et tiendront compte des crises mondiales qui ont de plus en plus d’effets sur notre monde.

Préparez-vous pour une foule d’événements au cours de la prochaine génération!

Mark a 40 ans d’expérience dans le domaine. Il a rédigé des articles et animé des conférences sur la réutilisation des ressources bâties partout en Amérique du Nord. Il est également coauteur du document national intitulé Accroître la résilience : lignes directrices pratiques pour la réhabilitation durable de bâtiments au Canada. Il est cofondateur de l’organisation Zero Net Carbon Collaboration for Existing & Historic Buildings et codirige le groupe de travail n3 Building Reuse is Climate Action du Climate Heritage Network.

 

David Ridley (Edmonton, Alberta)

À un moment où l’avenir est incertain (il l’est toujours), nous connaissons une évolution rapide dans le domaine de la conservation du patrimoine. Il s’agit d’un changement visant à renforcer les avantages de la conservation du patrimoine pour le bien-être, l’inclusion et la cohésion sociales, les relations dans la collectivité et le développement durable. Ce n’est pas rien! Nous nous intéressons à la clarification des complexités et des différents niveaux d’avantages sociaux ainsi qu’à l’évolution des pratiques.

Il est juste de supposer que l’avenir de la conservation du patrimoine ne ressemblera pas aux 50 dernières années. La conservation du patrimoine a toujours eu besoin du soutien et de l’implication de la collectivité, alors l’approche participative et inclusive continuera à se développer et à évoluer. L’avenir de la conservation du patrimoine devra encore reconnaître, préserver et adapter des lieux qui ont de multiples niveaux d’importance et d’utilisation (notamment les sites de conscience), en plus de refléter la diversité et le paysage du Canada.

Kihcihkaw askî, qui signifie « terre sacrée », est un site naturel qui se trouve dans un secteur urbain où les peuples, groupes et collectivités autochtones organisent des cérémonies et des huttes de sudation et animent des ateliers d’apprentissage intergénérationnel. Le site a une importance historique et culturelle puisqu’il a été utilisé comme site spirituel avant d’être utilisé comme terre agricole. Adjacent au parc Whitemud et à la rivière Saskatchewan Nord, il a été utilisé pendant des siècles comme lieu de collecte de plantes médicinales par les peuples autochtones. L’ocre, un minéral rare utilisé dans les cérémonies spirituelles et traditionnelles, se trouve à proximité du site. Photo : City of Edmonton

 

David est le directeur général du Edmonton Heritage Council. Il guide l’approche novatrice de l’organisation en matière de conservation du patrimoine depuis 2011 et dirige l’élaboration de programmes phares pour l’organisation. Il a fait partie des discussions et des plans communautaires sur le patrimoine, la culture et le lieu, dont le projet Connections & Exchanges: A 10-Year Plan to Transform Arts and Heritage in Edmonton.

 

Erin Jeffries (Fredericton, Nouveau-Brunswick)

Je pense que la direction que nous prenons en tant qu’industrie favorise l’honnêteté, la collaboration, l’inclusion et l’apprentissage continu. Nous sommes sur une voie qui nous mènera à une perspective holistique de ce qu’est le patrimoine et de ce que l’industrie peut accomplir. Je pense que l’avenir de la conservation du patrimoine ressemble à une collectivité qui célèbre la richesse de la diversité, qui énonce la vérité sur les histoires complexes qui en découlent, qui reconnaît et admet les erreurs qui ont été commises et qui favorise un environnement où tout le monde peut apprécier le travail de la communauté de conservation du patrimoine.

Je pense par exemple au travail de groupes tels que l’Initiative du patrimoine queer du Nouveau-Brunswick (IPQNB). IPQNB est une initiative de recherche archivistique qui vise à recueillir et à préserver le contenu 2LGBTQIA+, en plus d’offrir de la formation au public dans toute la province. Non seulement elle célèbre et transmet le patrimoine queer du Nouveau-Brunswick, mais elle conserve également tous ses dossiers aux Archives provinciales du Nouveau-Brunswick, ce qui permet aux scientifiques comme moi de trouver les informations nécessaires pour mieux communiquer l’ampleur du patrimoine queer de la province. J’ai assisté à des événements organisés par l’IPQNB dans le passé et j’admire les efforts qu’elle déploie pour préparer des célébrations queers joyeuses et des espaces sécuritaires pour la communauté. Elle se surpasse vraiment et son travail est très important, notamment parce qu’elle soutient un groupe de personnes qui ont l’habitude de se faire dire qu’elles n’ont pas leur place dans l’histoire et la culture du Nouveau-Brunswick. Elle ne se contente pas de soutenir les personnes queers, mais plutôt de les inscrire dans le passé de la province.

Erin Jeffries est la coordonnatrice des projets patrimoniaux de l’Association Patrimoine Nouveau-Brunswick. Elle est passionnée par la promotion de la diversité et de l’inclusion dans le secteur et par l’accès du public aux informations sur le paysage patrimonial unique du Nouveau-Brunswick.

 

Laura Saimoto (Vancouver, Colombie-Britannique)

Le patrimoine, qu’il soit bâti ou culturel, raconte l’histoire de notre passé afin que nous puissions en tirer des leçons. Il nous rappelle la gloire, la honte, les joies et les peines du passé. Il nous permet de comprendre l’identité et l’évolution de notre société. En même temps, la reconnaissance et le respect du patrimoine nous donnent la force et le courage de le transformer pour notre avenir.

Le patrimoine ne peut donc pas être classé dans une catégorie bien définie et ne peut être entièrement financé par le gouvernement. Chaque site devra plutôt être autonome financièrement afin d’assurer son avenir à long terme. Ainsi, je pense que le coût élevé des espaces sera assumé par les nombreuses personnes qui utilisent l’espace, c’est-à-dire que certaines généreront des revenus, et d’autres non. Le patrimoine deviendra une partie vivante de l’environnement, ce qui veut dire qu’il sera financé par un zonage à usage mixte et qu’il sera alimenté par le tourisme, l’usage communautaire, les locations, la garde d’enfants, les espaces de bureaux partagés, etc.

Ce ne pourra toutefois pas être fait par les actions d’une seule personne, mais plutôt par un ensemble d’organisations de différents niveaux qui collaborent et qui partagent leurs ressources avec d’autres organisations et gouvernements possédant des valeurs semblables dans le cadre d’un modèle opérationnel interdépendant. Il peut notamment s’agir de ressources promotionnelles ou de ressources de services professionnels comme la comptabilité ou l’administration de services informatiques. Le patrimoine se renforcera en développant des partenariats et des réseaux, et aura besoin d’une expertise plus intégrée en matière de gestion d’entreprise pour gérer ses activités. C’est en développant leurs relations, tant sur le plan local, national et international, que ces sites patrimoniaux deviendront des centres communautaires qui favorisent la santé économique, sociale et spirituelle des collectivités.

La restauration de la gare de trains historique de Hope construite en 1916 en est un bon exemple. La Tashme Historical Society est l’organisation qui a dirigé la planification et l’exploitation du projet. Les Canadiens d’origine japonaise, les Canadiens d’origine chinoise, les membres des Premières Nations et les partenaires locaux ont tous une version de l’histoire holistique du bâtiment et de la chaîne d’approvisionnement. Le principal partenaire institutionnel du projet est le district de Hope, qui est le propriétaire du terrain et la force de gouvernance. Il y aura des locataires commerciaux tels qu’un restaurant, mais aussi un centre d’accueil, un musée et un espace de travail partagé pour les organismes sans but non lucratif. Les partenaires promotionnels travailleront pour faire la promotion de chaque espace et pour partager des liens entre les histoires des autres communautés afin de stimuler le tourisme dans un contexte régional. Compte tenu de l’histoire racisée de la gare selon laquelle les Canadiens d’origine japonaise n’étaient pas autorisés à entrer dans le bâtiment de la gare en 1942 alors qu’ils se rendaient dans des camps d’internement, il existe une histoire universelle qui consiste à surmonter la peur et la haine pour retrouver l’espoir et l’appartenance, où, grâce au patrimoine, nous pouvons construire des ponts humains entre nous et avec le reste du monde.

C’est ce que je considère comme l’avenir du patrimoine : l’espoir que nous nous soucions suffisamment de nous-mêmes et des autres pour imaginer et créer, main dans la main, un avenir conscient et rempli d’histoires.

Ryan Ellan (à gauche), fondateur du Tashme Museum, et Victor Smith (à droite), maire de Hope

 

Laura Saimoto fait de la formation sur la pleine conscience, offre ses conseils en matière de patrimoine, milite pour le patrimoine canadien japonais et fait partie du conseil d’administration de la Vancouver Heritage Foundation et de la Tashme Historical Society.

 

Claudine Déom (Montréal, Quebec)

En 2050, la réhabilitation des bâtiments patrimoniaux est un processus enthousiasmant, qui est devenu la règle – et non plus l’exception – dans les pratiques de l’aménagement. Les promoteurs immobiliers, encouragés par l’accès à des incitatifs fiscaux mis en place par les divers paliers gouvernementaux, recherchent les opportunités de requalifier des lieux patrimoniaux. Le caractère unique du patrimoine, particulièrement ses intérieurs, de même que la qualité de sa construction, est désormais recherché car il a été démontré qu’il contribue à rentabiliser les investissements. Les municipalités participent elles aussi activement au processus de requalification par la tenue d’un registre des lieux désaffectés de leur territoire dont elles font la promotion dans le but de leur trouver de nouvelles vocations. Toutes les parties prenantes impliquées reconnaissent dorénavant que la réussite d’une requalification repose sur le choix d’un programme adéquat, lequel doit répondre aux réalités de l’existant, comme le pied de Cendrillon qui épouse avec perfection les formes de la pantoufle de verre. Fini le temps où le fardeau de la preuve repose sur les épaules du patrimoine. C’est maintenant aux projets de se façonner aux lieux pour justifier leur pertinence. Les architectes, de concert avec les ingénieurs en structure et les collectivités, usent de leur créativité pour imaginer des nouveaux usages en réponse aux conditions socio-économiques du territoire.

Le point tournant de ce changement de paradigme fut et demeure la Cité-des-Hospitalières de Montréal. Investie à partir de 2019 par l’entreprise d’économie sociale et solidaire en aménagement, Entremise, l’ancienne propriété des Sœurs Hospitalières de l’avenue des Pins est désormais une véritable ruche réunissant des entreprises de tout genre, des artistes et des services communautaires. Au fil des années, la propriété qui comptait à l’origine 65 000 pieds carrés de surfaces vacantes, a trouvé sa nouvelle raison d’être par des usages transitoires qui, pour certains, se sont révélés permanents. Au-delà de ses valeurs culturelles, le patrimoine s’inscrit enfin et indéniablement dans les stratégies et les pratiques durables.

La Cité-des-Hospitalières de Montréal

L’ancienne propriété des Sœurs Hospitalières de l’avenue des Pins

 

Claudine Déom est professeure à l’École d’architecture de l’Université de Montréal et responsable des programmes d’études supérieures en Conservation du patrimoine bâti de la Faculté de l’aménagement.

 

Audrey Gray (Montréal, Québec et Ottawa, Ontario)

Selon moi, l’avenir de la conservation du patrimoine réside dans le passage de la préservation à la réconciliation et à l’adaptation. Le patrimoine n’est pas statique et l’importance d’un lieu ne se définit pas uniquement par un style architectural précis ou par le fait qu’un « grand homme blanc » y ait vécu. Les lieux sont des palimpsestes, et l’avenir de la conservation du patrimoine devrait consister à honorer les histoires de différents niveaux de ces lieux et des terres sur lesquelles ils sont construits, à mesure qu’ils évoluent dans le temps et s’adaptent aux besoins des collectivités.

L’avenir de la conservation du patrimoine doit également se situer au premier plan de la lutte contre les changements climatiques. Pour ce faire, il faudra démontrer la relation entre la conservation et le développement durable, plus particulièrement la manière de développer de l’appartenance pour les lieux dans lesquels nous vivons et, par conséquent, d’en prendre soin.

Le projet Lougheed House Re-Imagined est pour moi un excellent exemple de ce à quoi j’espère que l’avenir de la conservation du patrimoine ressemblera. Cette initiative rassemble une diversité de voix qui racontent une histoire beaucoup plus profonde et complexe du lieu, au-delà des murs de l’établissement. Selon l’équipe de la Lougheed House : « […] un touriste pourra tirer un seul fil qui contribuera directement à la tapisserie complexe de notre grande ville, lui faisant ainsi découvrir son importance pour le Calgary d’aujourd’hui. »

Photo de la Lougheed House prise par Chris Stutz

 

Audrey Gray est une nouvelle professionnelle dans le domaine du patrimoine et travaille à Tiohtià:ke/Mooniyang/Montréal pour la Fiducie nationale du Canada. Elle est passionnée par le patrimoine critique, la sensibilisation du public et leurs intersections avec la justice sociale.

 

Nous remercions toutes les personnes qui ont pris le temps de répondre. Si vous voulez nous faire part de vos commentaires, contactez-nous à l’adresse suivante : reset@nationaltrustcanada.ca