5 facteurs critiques pour l’avenir du patrimoine : la perspective d’une jeune professionelle du patrimoine
Il y a quelques mois, j’ai été invitée à Montréal pour participer à la table ronde organisée par Christina Cameron, chaire de recherche du Canada en patrimoine bâti.
À chacune des trois journées de séances, j’avais une place à table, en compagnie de nombreux professionnels inspirants et réputés du patrimoine de partout au monde. En écoutant, m’efforçant d’absorber et de retenir chaque concept abordé et notant avec empressement des phrases et des mots clés de chaque orateur, j’ai commencé à saisir toute l’ampleur du sujet « patrimoine ». Aux études et dans mes premières années de carrière, je m’étais surtout concentrée sur les enjeux locaux et nationaux du patrimoine. Le fait d’aborder maintenant des enjeux à l’échelle mondiale a profondément influé sur ma façon de considérer les choses. Ce n’est pas que je n’en avais pas connaissance avant, mais j’avais maintenant tant de questions sur la portée et la pertinence potentielles des concepts que j’avais maîtrisés.
Lors de l’ultime séance, j’ai été conviée à m’exprimer sur l’avenir selon la perspective d’une jeune professionnelle. N’ayant que cinq minutes pour le faire, j’ai choisi de présenter cinq thèmes clés qui ont façonné ma perspective sur l’avenir du patrimoine. Chacun de ces thèmes était imbriqué dans les exposés présentés à la table ronde (certains davantage que d’autres). Cependant, quant aux perspectives d’avenir, j’affirme qu’ils sont véritablement des facteurs critiques pour l’avenir du patrimoine. Ils ne forment pas une liste exhaustive, mais ils sont ce que j’ai choisi d’aborder comme reflet du présent.
À titre de préface à mes cinq points, je veux préciser ceci : pour moi, le « patrimoine », c’est « les lieux des gens »; pour moi, le patrimoine est l’immatériel du matériel; pour moi, le patrimoine donne son sens à la vie en reflétant le passé, négociant le présent et éclairant l’avenir.
No 1 : Le pouvoir au peuple
Je dirai d’abord que les futurs professionnels du patrimoine devraient hériter d’une personnalité de facilitateur. Le pouvoir au peuple engendrera un passage de professionnels du patrimoine qui gèrent, dirigent ou contrôlent un projet vers des professionnels du patrimoine qui soutiennent un projet et s’intègrent à l’équipe d’un projet comme membres égaux à tout autre. L’apport d’experts est certes opportun en temps et lieu, mais un projet véritablement fructueux sera un projet qui émane des citoyens. Une démarche ascendante fera en sorte que le pouvoir décisionnel sera transféré à la communauté, appuyée par les professionnels du patrimoine. Il s’agira de laisser la communauté repérer elle-même les possibilités et raconter elle-même son récit. Poser souvent la question « en quoi votre lieu est-il spécial? » pourra servir à amorcer la conversation. Il faut miser sur ce qui rend chaque lieu unique. La mobilisation communautaire est vitale à tous les stades d’un projet. Depuis l’élaboration d’un consensus et la négociation de buts et priorités, à la planification d’une démarche éclairée et à la réalisation du projet ou à l’achèvement du travail, le professionnel du patrimoine sera un instrument du processus. Il encouragera la collaboration et la participation de la communauté de bas en haut, plutôt que de dicter de haut en bas.
No 2 : Souplesse dans les politiques, capacité d’adaptation dans la pratique
Les liens entre un lieu physique et les politiques qui définissent leur protection devraient être reconsidérés. Les incidences d’une désignation officielle ont leurs bons côtés, mais elles peuvent aussi être singulièrement nuisibles dans certains aspects du cadre actuel. Les lieux historiques doivent pouvoir être adaptés pour répondre à de nouveaux besoins et ainsi continuer d’être utilisés, viables et économiquement soutenables pour les générations d’aujourd’hui et de demain. Les politiques liées au patrimoine, dans l’ensemble, pourraient bénéficier d’une critique contemporaine (et prospective) : il y aurait lieu d’éliminer l’apparente suppression de la créativité dans l’aménagement d’immeubles désignés et de renouveler la reconnaissance du patrimoine culturel immatériel et de son rapport fondamental avec le matériel (surtout en ce qui concerne le patrimoine autochtone), pour éviter de limiter les possibilités de réutilisation adaptée et pour faire évoluer la perception qu’a le public des désignations patrimoniales. De nombreux professionnels du patrimoine ont adopté une approche créative de la réutilisation adaptée d’un lieu historique. Cette créativité et cette volonté de sortir des sentiers battus devraient continuer de repousser les limites, dans les politiques et dans la pratique, de la superposition d’interventions architecturales sur un fond patrimonial.
No 3 : Populariser le patrimoine
Imaginez un monde où tout un chacun comprend la puissance du patrimoine comme catalyseur d’un changement positif. Quand l’immeuble, plus loin sur la rue, n’a pas à être démoli pour faire place à une tour en verre, parce que tout le monde comprend toute sa valeur (et pas seulement sa valeur fiscale). La prochaine génération de professionnels du patrimoine devrait s’employer à faire mieux comprendre le patrimoine à ceux qui ne sont pas de la profession. Peut-être ce travail de promotion pourrait-il profiter d’une place dans les grands médias. En considérant l’avenir, nous devrions penser comment ceux qui ne sont pas dans le domaine du patrimoine perçoivent les professionnels du patrimoine, les comprennent et interagissent avec eux, de sorte que nous puissions établir des rapports informatifs et éducatifs avec tous. Nous devons continuer d’explorer des moyens de rendre les concepts du patrimoine logiques, catalyseurs et pertinents pour tous, quels que soient leur domaine d’activité et leurs antécédents.
No 4 : Innovation et technologie
Le lien entre progrès technologique et appréciation du patrimoine se fait par une variété de moyens. Ici, je pense en particulier aux concepts de durabilité et de conservation numérique. Le patrimoine joue un rôle clé dans un environnement sain. D’abord, de nombreux concepts architecturaux historiques contribuaient à des collectivités saines. Mais en outre, la réutilisation de matériaux historiques évite de contribuer à l’expansion des sites d’enfouissement. La prise en compte de l’énergie intrinsèque des immeubles existants et l’intégration de technologies écologiques innovatrices dans ces immeubles sont des éléments clés pour démontrer la « valeur » de la conservation du patrimoine. Les avancées technologiques apportent d’innombrables possibilités pour le patrimoine. Nous devrions non seulement accueillir le concept de la numérisation du patrimoine, mais encourager et promouvoir la numérisation 3D, l’utilisation d’algorithmes de pointe et la collecte de données 3D sur les immeubles du patrimoine pour conserver notre patrimoine et le faire connaître aux générations futures. Les constants progrès de la technologie accroîtront du reste l’interdisciplinarité des professions du patrimoine. Des pratiques jadis considérées comme « traditionnelles » devraient être remises en question, et des changements et adaptations devraient être volontiers acceptés. Il y a un énorme potentiel à exploiter en tirant parti des compétences d’autres professions et disciplines et en collaborant en vue d’une nouvelle perception de l’innovation en matière de patrimoine.
No 5 : Qualité de vie
En dernier ressort, les conversations sur le patrimoine doivent refléter nos valeurs dans la vie. À grande échelle, les lieux historiques peuvent engendrer une interaction sociale favorisant la coopération et renforçant la communauté. À petite échelle, les lieux historiques sont foncièrement liés à l’identité et au bien-être personnel. À l’avenir, les discussions sur le patrimoine – aussi bien les grands débats philosophiques que les conversations portant sur le concret – devraient prendre en compte la qualité de vie. Intégrer l’engagement communautaire, des approches créatives et innovatrices, et une vision fondamentalement ancrée dans un lieu et soutenue par les gens qui y vivent, voilà qui contribuera à la qualité de vie et à la vitalité d’une collectivité.
En repensant aux discussions de la table ronde avec quelques mois de recul, je constate que bon nombre des thèmes et des concepts qui y ont été présentés continuent de réverbérer dans mon subconscient. Au-delà des cinq points dont j’ai parlé ici, les messages des éminents professionnels du patrimoine au vaste vécu ont indiscutablement influencé ma perception et ma vision de l’avenir du patrimoine. Je suis honorée d’avoir pu participer à cette importante conversation à un stade si précoce de ma carrière, et j’en suis profondément inspirée de poursuivre mon travail dans la profession dans les années à venir.
Après avoir participé à cette table ronde en décembre, je suis devenue la Gestionnaire de projet, Régénération de la Fiducie nationale du Canada. Je me réjouis de continuer ces conversations sur l’évolution de la pratique en matière de conservation du patrimoine au Canada. Vous voulez participer au dialogue? Venez à notre conférence nationale, et inscrivez une question dans notre service de diffusion AGORA, ou envoyez-moi simplement un petit mot!